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Celui qui croyait au ciel /Celui qui n'y croyait pas

Aragon est plus connu pour sa poésie que pour ses romans qui sont pourtant d’un grand intérêt. Que ce soit pour Aurélien ou La Semaine Sainte, leur longueur et leur richesse est peut-être une explication.
L’étrangeté de la Semaine Sainte rentre certainement aussi en ligne de compte. Ce long roman de plus de 800 pages comporte un nombre considérable de personnages, souvent historiques, et il demande au lecteur une grande concentration et parfois quelques recherches. De plus, Aragon interrompt de temps en temps son récit foisonnant en établissant un parallèle entre lui et un de ses héros, comme quand il évoque sa découverte brutale d’une communauté de destin avec les ouvriers en grève d’une mine de Voelkingen et ses interrogations sur l’engagement politique et l’engagement artistique. Il cite alors un de ses poèmes écrits à l’époque : « La beauté la seule vertu
Qui tende encore ses mains pures… » (P. 452, Ed. Folio)
C’est déconcertant mais, en même temps, on voit se construire le roman et on le voit s’imposer à son auteur comme il s’impose à nous.
Pourtant, ces difficultés surmontées, le style simple d’Aragon aux riches accumulations épiques nous transporte dans l’Histoire comme si nous y étions.
La Semaine Sainte raconte la fuite du roi Louis XVIII et de sa « maison » devant Napoléon remontant vers Paris après son évasion de l’île d’Elbe. La semaine précédent Pâques 1815, nous suivons, sur la route de Paris à Béthune, ce roi impotent qui se réfugiera plus tard à Gand en Belgique. Il est accompagné de ses derniers fidèles mais même ceux-là, et c’est le cœur du roman, s’interrogent au gré des rencontres et des trahisons sur la pertinence de leur choix de fuite et de fidélité au roi mais aussi, en dernière instance, de fuite d’une époque finissante qu’on sent sûrement et dramatiquement se déliter avant de disparaitre. Les doutes de chacun des personnages portent en filigrane les doutes du communiste Aragon confronté en 1958 aux révélations des crimes et des lâchetés d’une idéologie communiste aimée pourtant pour la pureté de ses idéaux et de ce qu’elle représente, comme a pu l’être la royauté en 1815.


Ce périple fou est noyé dans une atmosphère pluvieuse, humide, enveloppant les errances boueuses des généraux royalistes et de leurs mousquetaires dans leur habit rouge de moins en moins respecté, de plus en plus honni par une population voyant en Napoléon un espoir pour le peuple. La majorité des scènes se passe à cheval ou en voiture, ce qui rend la lecture presque étourdissante dans ce fatras de femmes s’évanouissant, fuyant avec enfants, serviteurs, animaux et bijoux, de jeunes idéalistes sans repères, de nobles intéressés ou authentiquement fidèles, de gardes ne recevant pas les ordres d’orientation à temps, victimes de la désinformation visant à les faire paniquer en leur décrivant les troupes napoléoniennes du général Exelmans à leurs trousses. En tout, la cohorte comportait plus de 5000 hommes lancés presque au hasard des routes et de ses embûches. Nous croisons auprès d’eux des français divisés avec lesquels nous passons quelques temps tout en découvrant leur métier ancestral, du forgeron au tourbier de la Somme, métiers eux aussi voués à la disparition.
Si nous pénétrons, grâce au style indirect libre, le discours intérieur de nombreux personnages, royalistes ou non, le héros principal est bien Théodore Géricault, le peintre romantique du « Radeau de la méduse » et fou de chevaux, ayant abandonné son art pour accompagner le roi dans sa fuite. Pétri pourtant de doutes, il assiste secrètement à une entrevue de conjurés discutant des modalités de leur ralliement à L’Empereur, ce qui lui fera reconnaître sa propre évolution politique.
Aragon, l’athée, le communiste Aragon, signe là une œuvre forte qui se termine par une déclaration de confiance en l’avenir.
Le poète inspiré de » La rose et le réséda » fait partie de ces hommes qui, tout en ayant de profondes convictions pour lesquelles il s’est battu, sait que le monde se construit dans la pluralité et le respect des différences et que, selon l’adage, il faut de tout pour faire un monde. Que son ouverture d’esprit éclaire un monde qui a tendance à se replier sur lui-même.
« Au fond, s’il ne partage pas la foi chrétienne, Géricault, que les grandes idées du christianisme, une certaine bonté, l’essentiel terrestre de sa morale, sont là des choses pour lui voisines, qu’il ne peut repousser ou mépriser. Il partagerait volontiers un idéal chrétien, sans la religion. Qu’il y ait un Dieu ou qu’il n’y en ait pas. Même il est sensible à la beauté des mythes, pourvu qu’ils demeurent des mythes, de la religion romaine. Il ne peut épouser cette légèreté, fréquente chez les voltairiens (…) à l’égard, non de la religion, mais des choses de la religion, parce que ces choses-là sont pour ceux qui croient, non des momeries, mais l’incarnation d’idées respectables. »( p. 652-653)

jaklin
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le 6 mars 2022

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