Argument du livre : réflexions d’une femme évoluant dans une société dystopique, fasciste qui, devant la chute dramatique de la fécondité, a réorganisé les rapports autour de la copulation. Les femmes en pâtissent largement. Ainsi la narratrice a été conditionnée pour servir, comme d’autres, d’utérus au profit d’un couple qui ne peut plus avoir d’enfants. Les autres fonctions de la société (se défendre contre l’ennemi, approvisionner une famille, diriger, etc.) sont effectuées par des humains également cantonnés à ce rôle unique, et codifiés par la couleur de leurs habits. Ainsi les hommes ne sont-ils pas beaucoup mieux lôtis que les femmes.

Au contraire de Samanuel (critique d’à-côté), j’ai trouvé ça bien écrit, et très bien exposées les réflexions de cette femme anonyme qui est tout sauf une héroïne forte et résistante.

Mais comme il s’agit évidemment (c’est du Atwood, hein) d’une fable sur la condition féminine, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce que l’auteure voulait démontrer : que la condition des femmes est terrible ? Ben oui, merci, on le sait. Quelle utilité de recourir à des métaphores, tu ne peux pas l’exposer plus directement ?

C’est mon problème avec les romans métaphoriques : l’auteur/e veut inspirer l’horreur sur tel aspect odieux de notre société. Pour l’exprimer dans toute sa splendeur, elle ou il transpose l’aspect odieux dans une société dystopique immanquablement fasciste, pour bien montrer que seule une société fasciste peut mettre en place ce comportement. Bilan le lecteur ou la lectrice est effectivement horrifié… de la situation dépeinte dans la société dystopique. Établir un parallèle avec notre société présente, la vraie, c’est un raisonnement en plus. Pour un portrait à charge, pas sûr qu’un raisonnement en plus soit une méthode plus efficace pour arracher la conviction… Surtout que la toute fin du livre présente le transcript d’un colloque consacré justement au « manuscrit » de la _Servante écarlate_, qui laisse entendre que… la société fasciste en question n’existe plus vraiment !

J’ai un autre problème, c’est qu’on n’est pas sûr de la portée de la métaphore : 
– ces femmes en rouge, ces utérus à qui il est imposé un comportement de geisha (réserve, retenue, silence), de quoi sont-elles la métaphore ? De la prostitution, pensez-vous spontanément. Sauf que l’essence de la prostitution c’est la domination par l’argent. Or il n’est pas question d’argent dans le roman. Alors au final ce serait la métaphore de l’oppression de la femme dans cette société dystopique. Oh yeah.

– Pareil pour la cérémonie de coît. Métaphore des problématique liées à la gestion pour autrui ? C’est pas très clair, ces questions sont abordées (peu), ailleurs. Alors peut-être que cette cérémonie tellement non-plausible et ridicule est une métaphore de la jalousie. Super idée !

– Une dernière pour la route : les descriptions de la cérémonie collective où les femmes en rouge sont autorisées à déchiqueter (vous avez bien lu) les méchants coupables (soit-disant comploteurs) qu’on désigne à leur vindicte. Atwood, par le biais de son personnage principal, expose brillamment comme les autorités de la société fasciste orientent et canalisent ainsi les rancœurs des femmes en rouge. Métaphore de quoi ? Pas trouvé. Du coup on reste sur la sensation d’avoir lu une scène qui fait appel à des sentiments faciles et voyeurs.

Comme je me trouve bien dur, je reviens sur le cheminement des pensées de la femme en rouge, dont le nom nous est caché à jamais. Remarquablement conçues ses tortueuses interrogations. Touchante, cette femme. Alors que les circonstances la font entrer dans la Résistance, Atwood ne cède pas à la facilité d’en faire une égérie. Elle la laisse égoïste, passive, lâche, et pis, consciente d’être égoïste, passive et lâche (et amoureuse). C’est fort.
Bestiol
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le 3 févr. 2013

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Bestiol

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