Dystopie féministe

Retour de lecture sur "La servante écarlate" un roman de science-fiction dystopique de Margaret Atwood, publié en 1985. Le roman raconte, dans un futur relativement proche, l'histoire d'une femme, Defred, qui vit aux États-Unis alors transformés en une dictature, où une secte a pris le pouvoir pour créer la république de Gilead. Elle est la servante habillée d'un uniforme rouge, symbole du sang et de la fertilité, d'un commandant à qui elle appartient. Vivant dans un monde complètement pollué, les gens fertiles deviennent rares et sa seule et unique utilité est d'enfanter. C'est elle qui nous raconte son histoire à travers de nombreux flash-back qui nous permettent de comprendre tout son parcours pour en arriver là. C'est un livre qui a su garder toute sa modernité depuis sa parution, Il est même très inquiétant de constater que le monde n'a en fait pas cessé de se rapprocher de son univers imaginaire. Atwood nous en fait une description effrayante qui fait écho sur de nombreux points à toute notre époque actuelle. Bien qu'il ait été écrit au milieu des années 80, tous les maux du monde actuel y sont déjà, au-moins en filigrane : les risques d'un accident nucléaire gravissime, le dérapage vers un conflit nucléaire mondial, le désastre écologique qui se profile avec l'empoisonnement des terres agricoles, la suppression du droit à l'avortement qui s'étend aux États-Unis et pour finir le développement de l'intégrisme religieux. En mettant au cœur de cette dystopie une femme et en donnant une vision particulièrement cauchemardesque de leur rôle dans cette société totalitaire, l'auteure lui donne avec beaucoup de subtilité un éclairage féministe. Elle rappelle bien avec ce roman d'anticipation qu'il ne faut rien lâcher nulle part, concernant le droit des femmes, les répercussions pouvant être sans limites. L'écriture est très riche, belle et rythmée. Atwood a une façon d'écrire assez particulière avec un ton un peu détaché, voire un peu froid et laconique, pour finalement nous emporter et nous aspirer dans son récit. Son écriture tempère parfaitement la froideur du propos et du contexte, pour rendre finalement cette lecture assez agréable. Dans la construction du roman elle joue avec le lecteur avec beaucoup de finesse, passe souvent d'une époque à une autre, et arrive ainsi à maintenir un certain suspens et un intérêt pour cette histoire. A noter que ce livre a été adapté en série, Defred étant interprétée par l'excellente Elisabeth Moss, avec une première saison très réussie et fidèle au roman. Pour apprécier pleinement cette lecture il est donc préférable de ne pas avoir vu la série avant. C'est un livre qui était probablement moins déprimant à lire à sa sortie, il y a 37 ans. De nos jours il est très effrayant de constater, vu notamment le cauchemar des femmes afghanes, que Atwood ait été une visionnaire et qu'il y a déjà des endroits dans le monde pour lesquels ce livre d'anticipation n'est presque plus de la science-fiction.