La Sorcière
6.6
La Sorcière

livre de Marie Ndiaye (1996)

Cette bonne vieille toupie d’Annie Ernaux revendique « l’écriture plate ». Peut-être faudrait-il forger pour la Sorcière l’expression « écriture propre ». Or, le propre est différent du plat. (Du reste, la platitude « vient naturellement » à Annie Ernaux tandis que la propreté du récit de Marie NDiaye est travaillée.)
L’écriture de la Sorcière est propre dans la mesure où elle est ultra-maîtrisée : rien, pas le moindre mot, pas le moindre signe de ponctuation qui ne donne l’impression d’avoir été placé là dans un but précis pour produire un effet précis. Même – surtout ? – les légères discordances de rythme ou de construction par lesquelles on s’éloigne d’une écriture plate sont délibérées : « Ces intelligentes petites barbares, mes filles, en cela me stupéfiaient » – une telle phrase (p. 11 en collection « Double »), dans sa construction même et sans parler de son sens littéral, me semble représentative de tout le roman.
Assez vite, on s’y retrouve avec un curieux mélange, à la frontière entre une sorte d’onirisme immémorial et un quotidien morne de lotissement pavillonnaire : les deux jumelles de la narratrice Lucie découvrent leurs pouvoirs magiques (divination, métamorphose) avec leur puberté – vous voyez la métaphore ? – tandis que les adultes font de ces semi-crises existentielles telles qu’elles se produisent quand quelqu’un se demande ce qu’il fout à la même table que les membres de sa famille après une journée absolument dépourvue de sens.
C’est une histoire de pouvoirs magiques et de leur transmission, mais aussi d’hommes qui fuient les femmes et de femmes à qui tout le monde échappe. « Que se passe-t-il, Lucie, avec mes enfants ? » (p. 116) demande la belle-mère, et chaque personnage pourrait demander Que se passe-t-il avec les autres ? De fait, chaque personnage évolue entre le début et la fin de la Sorcière, ce qui est peut-être à souligner quand on parle de littérature contemporaine, et à plus forte du catalogue des éditions de Minuit.
Le roman me convainc, mais qu’est-ce qui l’a empêché de m’enthousiasmer ? C’est peut-être qu’on reste souvent du côté pavillonnaire de la frontière dont je viens de parler. « Il me semblait chaque jour que mon talent s’étiolait un peu plus – en quoi, me demandais-je alors, n’étais-je pas faite pour être une bonne sorcière ? Et-ce [sic] que je manquais de volonté, de fureur et de rage ? » se demande la narratrice (p. 121). Je crois qu’il manque aussi un peu de fureur et de rage à la Sorcière, et d’un peu de saleté à son écriture.

Alcofribas
7
Écrit par

Créée

le 31 mai 2020

Critique lue 211 fois

5 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 211 fois

5

D'autres avis sur La Sorcière

La Sorcière
YvesMabon
8

Critique de La Sorcière par Yv Pol

Il faut tout d'abord entrer dans ce roman, dans son écriture, faite de longues phrases, élégantes, certes, mais qui déroutent au premier abord avant de charmer. En effet, les premières pages passées,...

le 4 févr. 2018

1 j'aime

La Sorcière
niavuag
6

Un livre sur la vie en couple à travers un ton plaisant

Style d'écriture très accessible, avec des phrases moins longues que dans ses derniers livres et avec une action dans l'ordre chronologique. Le livre original par sa forme, monde actuel avec des...

le 4 juin 2013

1 j'aime

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 11 nov. 2021

20 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

20 j'aime