La Storia
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La Storia

livre de Elsa Morante (1974)

Guerre, fascisme, chiens et gramophones

Ce roman d'Elsa Morante suit l'histoire d'une famille, celle d'une institutrice modeste vivant à Rome, Ida, et de ses deux enfants : Nino, fils d'un mari décédé, et Useppe (diminutif de Giuseppe), né d'un viol perpétré par un jeune soldat allemand ivre de passage à Rome.


Le livre est découpé en chapitres par années, chacun introduit par une chronologie de ce qui se passe dans la Grande Histoire sur la même période, en insistant sur les atrocités et les découvertes scientifiques. En regard de cette introduction qui rappellerait, au cinéma, un montage d'archives, le roman nous montre la vie quotidienne de ces êtres peu éduqués, de leurs peurs dérisoires, de leur inconscience de ce qui se passe ailleurs dans le monde, jusqu'à ce que la réalité historique touche, directement ou indirectement, leur destin.


Introduction. Un jeune nazi viole Ida avant de partir pour l'Afrique, où il meurt (elle n'en saura rien). Elle cache un temps l'enfant, s'inquiète de l'évolution du statut des Juifs. Useppe est un adorable nourrisson qui s'émerveille de tout.



  1. Les privations augmentent, remplaçant certains produits de nécessité par leur ersatz "autarcique". Nino, qui sèche l'école, ramène un chien, Blitz.


  2. Useppe apprend à parler. Nino abandonne l'école pour les jeunesses fascistes, par goût pour le désordre. Il vole le couteau-rasoir qu'avait laissé l'Allemand, puis le perd. Il sort parfois Useppe en cachette.


  3. L'immeuble est détruit par un bombardement, Blitz meurt, Nino s'engage dans l'armée. Ida par avec Useppe se réfugier à Pietralata, une banlieue éloignée, où est installé dans un hangar un abri pour réfugiés. Le quotidien partagé avec les autres sinistrés (Giuseppe Cuchiarelli, un vieux communiste, les Mille, Carulina, la chatte Rossella, deux canaris). Arrivé Carlo Vivaldi, un anarchiste juif de Milan qui cache son vrai nom. Puis Nino, passé à la résistance, avec un compagnon d'armes, Quattropunte. Cuchiarelli choisit de les rejoindre, ainsi que Carlo, qui convertit la mauvaise conscience d'avoir échappé à la déportation en haine des Allemands. Useppe accompagne une après-midi Nino, et entend les oiseaux, dont il comprend ainsi le chant : "C'est un jeu, rien qu'un jeu". La fin de l'année voit le départ progressif de réfugiés, Useppe restant souvent seul tandis qu'Ida cherche un minimum de nourriture pour ne pas mourir de faim.


  4. Le livre s'ouvre sur une opération de Nino et son groupe contre les nazis, opération qui tourne mal. Nino et Carlo/Piotr prennent le large vers Naples et travaillent dans le marché noir. Ida revient à Rome, partage une chambrette près du Testaccio avec Useppe, et reprend ses leçons particulières, puis l'école, mais la lutte pour la survie continue, notamment dans les très durs mois où les Allemands abandonnent Rome. Elle en vient à voler, comme tout le monde. Visite le ghetto, déserté. Carlo revient (son vrai nom est David), puis Nino.


  5. Useppe tombe par hasard sur des photos des camps de concentration, ce qui semble ne lui faire aucun effet sur le moment (il ne comprend pas). Des réfugiés, juifs ou italiens, reviennent, diminués, voire brisés



.



  1. Ida donne un reconstituant à Useppe, qui tarde à se développer du fait de la sous-nutrition des années de guerre. Nino passe souvent avec une moto. Ida emménage Via Bodoni et reprend ses cours. Flashback sur l'expérience de David dans une chaîne de montage. Meurtre d'une prostituée, la Santina, par son maquereau, qui va se rendre. Nino ramène Bella, une chienne de berger blanche magnifique. Ida essaie de scolariser Useppe en grande section de maternelle, mais il pleure, ne parvient pas à se socialiser et essaie de fuguer, alors elle le laisse chez elle pendant qu'elle travaille, et l'appelle grâce au téléphone nouvellement installé. Le 16 novembre, Useppe a une première crise d'épilepsie. Ida est déconcertée, ne fait rien, espère que ça passera. Puis arrive une terrible nouvelle : Nino, qui trafiquait des armes pour des groupuscules révolutionnaires, est retrouvé mort dans un accident de camion louche. Affectée, elle perd tous ses moyens comme institutrice.


  2. Useppe a une seconde crise. Ida consulte un professeur, qui la terrorise et se révèle impuissant, l'électroencéphalogramme ne révélant rien. Vagabondant dans les rues avec Bella, Useppe trouve un coin de paradis au bord du Tibre, une "tente d'arbres". Il recroise David, installé dans un gourbi, et que la mort de Nino a rendu dépressif. Il l'invite à déjeuner, mais David ne tient pas sa promesse. Useppe et Bella rencontrent Scimo, un enfant qui a fui une maison de correction, vit dans une cabane et semble-t-il se prostitue. Il est repris, sans qu'Useppe le sache. David fait un esclandre à une terrasse de café, jouant les prophètes anar. Useppe vient le revoir plus tard, mais David lui crie dessus, ne le reconnaissant pas : il meurt peu après en délire d'une surdose de morphine. Useppe meurt également, d'une crise d'épilepsie près de la tente d'arbres. Ida, ne le voyant pas à la maison, court le chercher, tombe sur Bella, le ramène à l'appartement. La police l'embarque, après qu'elle a perdu la raison



. L'Histoire continue...


Ce roman est une plongée dans le monde de l'enfance et du petit peuple, le monde quotidien des gens qui sortent avec leur cabas faire le marché, et font preuve d'un courage quotidien pour survivre en temps de guerre. Une candeur et une ignorance que tout désigne comme victime pour le bourreau qu'est l'Histoire et sa cruauté.


C'est un grand livre, qui dépeint des personnages qui nous semblent réels, tant Elsa Morante se met facilement dans leur regard dépourvu d'attente, sait dépeindre la moindre attitude, la moindre intonation pour nous faire comprendre le danger qui rôde autour de ces êtres simples. Je retiens aussi une grande empathie pour décrire les animaux comme des personnes (je n'ai jamais vu les mimiques d'un chat aussi justement individualisées).


Si le début du livre a quelque chose d'éminemment tendre, la partie qui suit la libération de Rome devient progressivement tragique, amère, voire désespérée.


C'est une fort belle réflexion sur l'histoire et les répercussions indirectes qu'elle a sur la vie quotidienne des gens.

zardoz6704
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le 31 mai 2015

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zardoz6704

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