Beaucoup d'ouvrages d'histoire mathématique préfèrent traiter le Dernier Théorème de Fermat, certainement à cause de l'apparence élémentaire du problème, l'aventure millénaire qu'elle représente (trois siècles et demi, plutôt) et son dénouement heureux. Marcus de Sautoy, par contre, s'attelle à un problème qu'il est beaucoup plus difficile de vulgariser, l'hypothèse de Riemann, et bien plus contemporain... Et avec succès!

Un succès, d'une part, parce que c'est un remarquable succès de vulgarisation: le roman contient très peu de formules et de graphes (rares mais essentiels, cela dit), pour se concentrer uniquement sur les mots, ces mots qui donnent vie à des mathématiques abstraites et arides pour le néophyte (analyse complexe notamment). Pour ce faire, l'auteur illustre la célèbre conjecture avec une métaphore remarquablement bien filée, autour de la musique; ainsi, on est aisément convaincus que l'ordonnement chaotique des nombres premiers parmi les entiers cache en fait une merveilleuse symphonie que seule l'hypothèse de Riemann peut nous révéler. Au bout du compte, même sans être meilleur en mathématiques (puisqu'on ne se confronte pas à la théorie en elle-même), on a une excellente idée des tenants et aboutissants du problème abordé, pouvant même émouvoir les plus pragmatiques d'entre nous qui ne sont pas convaincus par l'utilité d'un problème mathématique sans applications au monde réel (chose d'ailleurs abordée dans l'ouvrage, puisqu'on parle des machines de Turing, d'informatique, de cryptographie).

D'autre part, les mathématiciens en jeu sont dépeints avec beaucoup de vie, et toujours décrits à l'aide de la métaphore musicale (Riemann est le «Wagner» des mathématiques, par exemple); on arrive à se faire une bonne idée de la personnalité, de l'importance et de l'apport de tous les personnages rencontrés (dans le désordre: Riemann, évidemment, Hilbert, Ramanujan, Euler, Weil, Connes, Gödel, Siegel, Selberg, Landau, Hardy, Stieljes, Hermite...). On remarque d'ailleurs, et c'est normal, que les mathématiciens présentés sont essentiellement des deux ou trois derniers siècles passés. Ceci permet d'avoir un regard plus moderne sur les mathématiques et ses préoccupations, plus vivant aussi, puisqu'on a un exemple concret qu'elles ne sont pas figées depuis l'Antiquité, comme certains peuvent en avoir l'impression. L'auteur ne limite pas à un mathématicien à ses résultats majeurs, et les anecdotes choisies pour chacun d'eux sont presque toujours ludiques.

Évidemment, l'hypothèse de Riemann n'étant toujours pas résolue (en 2010), l'ouvrage se termine sur une note plutôt malheureuse et pessimiste, ce qui n'empêche pas de susciter l'intérêt chez ceux qui ne s'intéressaient pas encore à ce problème ouvert, où on est dans l'attente de la «pièce manquante du puzzle».
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le 23 sept. 2010

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