La Terre
7.6
La Terre

livre de Émile Zola (1887)

Zola part en live... et c'est folklorique ! J'étais habituée à sa plume lyrique et digne, qui donne de la hauteur au moindre tableau prosaïque dépeignant les petits gens. Dans La Terre, Emile se salit les mains et décide de se payer une tranche de gaudriole, déclinant de longs paragraphes sur les prouts (oui oui), les culbutes dans les bottes de foin, les curés désespérant de ramener leurs ouailles dans le droit chemin et les scènes d'ivrognerie paysanne. On oscille avec enthousiasme entre satire sordide du monde paysan, et roman feuilleton qui flirte avec le pulp.

La Terre évoque la paysannerie et toutes ses mesquineries : j'étais assez étonnée du regard sans complaisance de Zola sur ces petits gens. Ici les habitants de la Beauce sont pleutres, avides, minables, méchants voir sauvages. Le saisons passent, les travaux de champs suivent leur cour, la gradation des infamies aussi.


Peu de souffle épique, les réflexions grandiloquentes sur les choses semblent absentes mais en filigrane transparaît quand même une certaine vision provocatrice du monde paysan (et de la race humaine) : soif de la possession (de la Terre comme de la femme), propos sur la modernisation de l'agriculture, émergence d'une classe paysanne, haine du propriétaire et avarice des petits agriculteurs, mort de la religiosité, cellule familiale "tricotée serrée" infusant dans la rancœur et la convoitise...


C'est très drôle (les scènes d'ivresse de Jésus Christ, la déchéance sans fin du père Fouan, la mauvaiseté impitoyable de la Grande, les pinailleries pour se goinfrer au buffet de mariage, économiser un bout de chandelle en squattant chez le voisin ou espérer récupérer quelques écus ou bouts de terre aride, la saison des vendanges et l'âne bourré, les bourgeois de Chartes et leur hypocrisie de tenanciers de bordel...) et féroce, bienvenue dans un épisode de Strip-Tease à la sauce Zola. Le rire (et la stupeur) sert toujours le propos de l'auteur et sont autant de coups de pinceaux outrancier mais efficaces pour comprendre la mentalité paysanne.


Alors La Terre est peut-être un des romans les plus anecdotiques dans la grande fresque des Rougon-Macquart, mais il est profondément divertissant. Décrire le prosaïsme sans prosaïsme, dire le sordide et le laid de la plus belle des façons, pari réussi.

A part dans quelques descriptions remarquables des saisons qui passent et des travaux paysans, je me suis aussi demandée si Zola n'avait pas fait un pas de côté loin du naturalisme cher à son cœur, tant son propos semble souvent parodique, comme tiré vers des extrêmes qui rendent difformes et enlaidis les habitants de Rognes : les chapitres aux accents rabelaisiens en côtoient d'autres qui frisent avec le roman noir. Et quelques chapitres profondément pathétiques (l'errance misérable du vieux Fouan) relèvent le niveau si on trouve tout ceci trop burlesque.


Est-ce que le monde paysan est si méprisable et vulgaire que ce que nous en montre Zola ? Probablement pas, et on lui en a fait la critique à l'époque. C'est là où le bas peut blesser pour certains lecteurs, car on a plus l'habitude de le voir se poser en défenseur des classes populaires. Pourquoi autant de mauvaise foi Emile ?


En conclusion, si je m'arrête strictement à son écriture et le plaisir que j'ai eu à lire La Terre, alors c'est un très bon roman, au sens le plus premier degré du terme (attiser la curiosité du lecteur pour les personnages et pour les péripéties, et un art d'écrire toujours aussi fabuleux). Vite un autre RM !

aaiiaao
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le 29 mai 2023

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