La variante chilienne des poupées russes

J'ai longtemps hésité entre le six et le sept pour la Variante Chilienne.
Rappelez-vous, l'an dernier, j'avais adoré la Fractale des Raviolis. J'avais rarement autant ri, la forme était incroyablement originale, l'exercice était inédit et très bien exécuté, bref, ça avait été une très bonne surprise pour moi qui ne suis pas friande de romans adultes contemporains.
Alors évidemment, quand je me retrouve avec le nouveau Pierre Raufast entre les mains, je ressens immédiatement un mélange d'excitation et d'appréhension. L'excitation parce que j'avais hâte de lire son deuxième roman. L'appréhension parce que je sais que je vais l'attendre au tournant. Et c'est bien là le problème, à peine ai-je lu la quatrième de couverture que je crains un réchauffé de raviolis. On me dit que le principe, bien que fondamentalement identique, est un peu différent et plus abouti. Ma curiosité est piquée, j'aurais fini par le lire tôt ou tard de toute façon.


Et à nouveau, je découvre un roman fragmenté par plusieurs histoires, formant malgré tout une belle unité. Contrairement à la Fractale, nous ne sommes pas dans un système de poupées russes : une histoire dans une histoire, elle-même dans une histoire, etc. Ici, on est plutôt dans une succession bien amenée d'histoires. C'est presque un roman choral, puisque nous avons trois personnages dont nous allons avoir les points de vue tour à tour, ou presque. Le point de vue majoritaire est celui de Pascal, comme le philosophe, et je ne crois pas que ce soit une coïncidence, mais j'y reviendrai plus tard. Pascal raconte l'histoire de son point de vue, mais il est interrompu par les récits très personnels de Florin, notre second personnage, tandis que certains chapitres sont des extraits du journal de la jeune Margaux. Ce pourrait être un roman banal, mais le personnage de Florin introduit une note de sur-réalisme qui va faire tout le charme de la Variante.
Son histoire, la perte de sa mémoire à long terme et à la disparition de ses émotions, ses récits incroyables, impossibles mêmes, sont autant d'éléments enchanteurs qui font que j'aie aimé ce livre. Car c'est, je le crois, une des constantes de Pierre Raufast, sa capacité à inventer des histoires absurdes, mais géniales, aussi dégoûtantes soient-elles parfois. C'est ce côté jubilatoire que j'avais adoré dans sa première mouture et que j'ai adoré retrouver dans la seconde. Mais comment, comment peut-on avoir des idées pareilles ? Qui a déjà réfléchi à pourquoi c'est le "ù" qui l'a emporté sur le clavier alors qu'on ne l'utilise que dans un seul mot de la langue française ? Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais chacun d'eux m'aura décroché un éclat de rire et cette réflexion affectueuse : ce type est complètement dingue, je l'adore !


Malgré tout, tandis que j'avais été absolument et totalement convaincue par la Fractale, dont même les faiblesses m'avaient semblé un ressort de l'auteur pour forcer notre admiration et notre étonnement avec des twists plus incroyables les uns que les autres, la Variante m'a un peu déçue sur certains points.
Premièrement, les constantes références à son premier roman. J'ai d'abord pensé que l'auteur avait un tropisme pour les rats-taupes. C'est plausible, avouez. Et finalement, après d'autres occurrences plus ou moins discrètes (mais moins que plus, soyons francs) à la Fractale, me voilà rongée par une crainte : Pierre Raufast serait-il narcissique ? Une interrogation qui ne restera peut-être pas sans réponse, mais je vous en dirai plus à ce moment là.
Deuxièmement, le personnage de Margaux. Elle est un peu chiante cette gamine, non ? Limite, il n'y aurait que Pascal et Florin, c'est vrai qu'on aurait manqué toute la réflexion philosophique sur Pac Man, et ç'aurait été dommage, mais on aurait aussi évité de tomber dans le larmoyant. Et elle est un peu trop idéaliste, un peu trop lisse, cette petite. C'est sans doute une déformation professionnelle, mais je suis sure que Pascal serait un de ces gens qui, comme nombre des clients des librairies où j'ai travaillé et travaille encore, diraient de cette fille qu'elle est "tellement en avance pour son âge". Sur mon visage, une moue dubitative, un regard exaspéré.
Ce sont les deux gros points noirs du roman à mon humble avis. Le reste n'est que bonheur et jubilation.


Mais surtout, pour finir sur une note positive, parce que ça fait des années que je me tue à le dire, Pascal (le philosophe, pas le personnage) est un con, donc merci Pierre Raufast pour cette phrase que j'ai presque envie de recopier dans mon journal intime avec des petits coeurs autour : "Blaise Pascal ne fumait pas la pipe, nu buvait pas, ne jouait pas, ne baisait pas. C'était un con. Un con de janséniste triste". Des milliers de love pour ça Pierre.


Edit du 7 novembre 2015 : Après une fabuleuse rencontre avec l'auteur (et une première animation de rencontre pour moi), je peux dire avec soulagement que non, Pierre Raufast n'est pas narcissique, c'est même tout le contraire ! Qui a dit qu'il ne fallait jamais rencontrer ses idoles ?

Créée

le 26 juin 2015

Critique lue 566 fois

2 j'aime

4 commentaires

marquise

Écrit par

Critique lue 566 fois

2
4

D'autres avis sur La Variante chilienne

La Variante chilienne
BiblioTakeCare
9

Du vin, des femmes, la vie quoi !

Ce roman ce n’est pas une histoire mais une constellation de morceaux de vies… Et quelles vies ! Pierre Raufast possède un réel talent de conteur comme le prouve les récits de Florin. Florin c’est un...

le 8 nov. 2015

3 j'aime

1

La Variante chilienne
François_CONSTANT
7

Critique de La Variante chilienne par François CONSTANT

"La variante chilienne" , second roman de Pierre RAUFAST (Ed.: Alma, 2015) est une perle! Avec une imagination débordante, et pourtant parfaitement cadrée dans l'avancée du récit, l'auteur nous...

le 19 sept. 2015

3 j'aime

La Variante chilienne
marquise
7

La variante chilienne des poupées russes

J'ai longtemps hésité entre le six et le sept pour la Variante Chilienne. Rappelez-vous, l'an dernier, j'avais adoré la Fractale des Raviolis. J'avais rarement autant ri, la forme était...

le 26 juin 2015

2 j'aime

4

Du même critique

Peau d'âne
marquise
10

Cher Jacques...

Ah, Jacques ! J'ai tellement de choses à te dire. J'avoue, l'exercice de la lettre ouverte... j'ai peur de faire un peu groupie. Mais j'avais envie de te dire merci ce soir. Oui, merci pour tous tes...

le 30 mai 2013

44 j'aime

1

Cinquante Nuances de Grey
marquise
5

Cinquante mots de vocabulaire

Oui, je sais, j'ai mis cinq. La note semble élevée, surtout compte tenu d'un vocabulaire itératif qui montre ses limites (supportable parce que lu en anglais), et aussi répétitif que les orgasmes de...

le 26 nov. 2012

41 j'aime

8

Les Disparus du Clairdelune
marquise
9

Losing my religion

Commençons par le début. « Les disparus du Clairedlune » est le deuxième tome des aventure d'Ophélie, la fameuse Passe-Miroir. « Les fiancés de l'hiver » est le roman qui a marqué mon début de...

le 27 sept. 2015

36 j'aime

6