Premier volet de la trilogie du journalisme cash

Après avoir récemment lu Un Dieu à soi, qui m'avait réellement fasciné, je me suis fait offrir le reste de la trilogie, que j'ai décidé de prendre par le commencement. Il m'a permis de mieux comprendre certains aspects typiques du style de Juan Pablo Meneses : il y a toujours un écart entre la jaquette, ce qui est vendu, et ce qui est réellement écrit à l'intérieur.


L'élaboration de la religion itinérante n'était finalement que le prétexte à une réflexion des connexions entre l'hypercapitalisme et la notion de sacré. Même si cet ouvrage se veut être un centré autour de l'achat d'une vache, et du "dilemme" de sa survie ou de sa revente à un abattoir, force est de constater que la vache, surnommée La Negra", ne prend pas beaucoup de place dans l'ouvrage, et que l'on ne saura pas ce qui est advenu d'elle.


L'auteur ne se rend que quelques fois à la Plata pour la voir. Elle est plutôt mise à sa place de rouage d'une immense industrie dont on peine parfois à se représenter toutes les tentacules. C'est avant tout une exploration de la place qu'occupent les vaches dans le monde capitaliste, et plus particulièrement dans la culture argentine, où la vache est une réelle valeur monétaire : il est possible de se procurer de la viande à des prix très bas, et il s'agit d'un totem alimentaire du pays. On débat, on régule son prix, comme on légifère sur le prix de la baguette en France.


Nous n'éprouvons pas de réel attachement avec cette vache, qui reste toujours dans un coin de la tête de Meneses, mais il parvient à nous interroger dans notre rapport à la viande, sans juger. Même s'il prétend qu'il y pense souvent, et que nommer une bête rend l'entreprise plus difficile, on a toujours cette impression qu'il laisse son sujet de côté, la vache qu'il a achetée - tout comme il enferme son Dieu dans une boîte et dans un garde-meuble - et que ce lien commercial est un moyen de décortiquer ce sujet, de le dépiauter, comme ces pauvres vaches, qui ne meurent jamais enterrées auprès des leurs. De ce point de départ, on suit ses errances, ses doutes, ses pensées, et les angoisses quant au livre à venir (son entreprise a été bien médiatisée dans le monde hispanique, mais le livre en lui-même a peiné à émerger, exactement comme Un Dieu à soi)


On est parfois pris de vertige face à l'ampleur du phénomène, comme en témoigne l'excellente ouverture du livre, décrivant un flux viandard perpétuel. Le livre suit le trajet des vaches, des grandes heures façon golden boy de Wall Street, aux villes qui ont tout perdu avec les difficultés économiques, et dans lesquelles il ne reste plus qu'un monument (une boîte de Corned Beef en béton) pour chanter la gloire perdue.


La vache est souvent comparée à une machine, à une cheminée d'usine, et exploitée selon son rendement maximal. L'industrie de la viande est vertigineuse, et beaucoup des chiffres du livre (l'enquête ayant eu lieu en 2003-2006), ont sans doute pris une autre tournure. Le tour de force de Meneses, c'est de montrer que la vache est une denrée de consommation, qu'elle répond à toute une stratégie de communication, qui va de la mascotte aux élections de miss de concours agricoles, aux actrices pornographiques, aux magnats clinquants de la viande et jusqu'aux hommes politiques. Nous laissant le soin de méditer sur ce paradoxe capitaliste : beaucoup se sont émus du côté scandaleux de son ouvrage, alors qu'ils consomment eux-mêmes de la viande, et sont les rouages absents du système, tout comme la Negra est l'âme et la grande absente du livre. La révélation des coulisses des abattoirs ne semble pas suffire à faire changer nos comportements, parce que manger de la viande c'est mal, mais salement délicieux.

Jean-Go
8
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le 20 juil. 2023

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JG M

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