La Fantasy est-il un genre réservé aux personnages jeunes ou, au contraires, âgées ? La voilà parfois coincées entre ces deux perspectives… Écartant tous les préjugés négatifs, plusieurs constats peuvent être dressés : le genre utilise des codes modernes et est plus susceptible d’intéresser de jeunes personnes (surtout s’il est décliné en jeux vidéos), mais d’un autre côté, il a commencé à se populariser dans les années 60/70, en concordance avec l’âge de certains auteurs Fantasy.


Apparaît alors Brandon Sanderson qui incarne une sorte de nouvelle génération. Il se manifeste pourtant comme un érudit du genre tant sa personnalité et sa pédagogie prouvent qu’il maîtrise bon nombre de codes du genre. Concilier modernité et authenticité, parvenir à innover sont des défis auxquels il a répondu de toute sa plume. D’aucuns prétendent que la Fantasy ne parle pas de notre époque : avec la Voie des Rois, Brandon Sanderson vient prouver le contraire.


Peut-être s’agit-il d’un des romans construisant le mieux son univers. Pas seulement parce qu’il multiplie les points de vue mais aussi parce qu’il varie les formats : tout n’est pas indispensable bien qu’une forme de « complémentarité » lie les dessins et l’écriture en cohérence parfaite avec l’esprit du récit. Du temps est requis pour que les engrenages tournent, et le manque d’action malgré les péripéties variées peut donner à l’histoire un aspect « poussif ». Cela dit, au vu des affirmations de l’auteur, sa volonté de respecter l’héritage de la Fantasy (aka écrire de longues sagas), il n’est guère étonnant que ce livre préfère la contemplation et la réflexion à l’action.
Nous suivons donc trois personnages principaux : Kaladin, Shallan et Dalinar (je ne compte pas vraiment son fils qui participent aux mêmes histoires que lui). Leur évolution au travers de ce monde constitue le gros du récit même si des intermèdes composés de personnages plus secondaires (notamment un assassin aux motivations assez intéressantes quoique sibyllines) viennent s’ajouter pour compléter le tout. De là découle une trop importante frustration à mon goût : tandis que Kaladin apparaît durant l’ensemble du tome, Shallan et Dalinar sont négligés pendant une partie (typiquement la moitié). Ce qui m’a semblé logique pour Dalinar m’a moins plu pour Shallan. Elle incarne bon nombre de thèmes du roman et ses épisodes manqués font donc perdre un brin de profondeur au total.


Je pense que les histoires de Dalinar ont été moins intéressantes. Enfin, disons plutôt que je n’y ai pas personnellement accroché car j’ai eu cette amère impression qu’elles s’étalaient pour raconter la même chose. Tout était question de responsabilité au travers de la découverte d’un background et d’un bestiaire fouillé. En parallèle, Kaladin s’est révélé mieux construit, d’une part car il possède le développement le plus creusé (grâce à ses flash-backs) et d’autre part car il personnifie à merveille l’absurdité de la guerre, homme entraîné contre son gré. Néanmoins, il m’a aussi donné une désagréable sensation de « déjà-vu », comme s’il était la fusion entre deux personnages : Guts, personnage principal de Berserk pour son point de vue pessimiste et sa relation avec Syn, et Jack Shepard pour son statut de chirurgien ainsi que son rapport avec son père, lui aussi chirurgien. Shallan est donc la plus originale de toutes et la plus attachante à mes yeux malgré le fait que ses heures de gloire soient très rares. L’aspect militaire est très souvent traité en Fantasy au contraire des aspects plus « intellectuels » souvent relégués au second plan. En présentant cette jeune femme comme érudite ambitieuse, Brandon Sanderson nous dépeint tout un pan de son univers où le savoir côtoie le pouvoir. Par sa curiosité et sa persévérance, Shallan devient plus convaincante que n’importe quel autre personnage.


Les pages défilent donc par centaines et en dépit des longueurs, même si le récit manquait du « piquant » nécessaire pour rentrer parmi les lectures favorites, la promesse a été remplie : son univers fait écho au nôtre. Non, ce n’est pas parce que certaines bases sont médiévales que la société décrite n’a pas le droit d’emprunter certaines coutumes de la société moderne. Trois de ses composantes la caractérisent. D’abord la séparation entre les femmes et les hommes : les premières se focalisent sur les arts, la littérature et les sciences. Lectrices, érudites, historiennes, peintres, scientifiques, … Leurs possibilités sont bien plus nombreuses que les hommes cantonnés à des rôles de soldats et de politiciens plus classiques. Bien que cette séparation me paraisse artificielle, elle aide à définir un univers unique au sein duquel bon nombre de clichés sont renversés. On a ensuite la place de la science dans cet univers. La religion a beau être très présente, l’athéisme n’est pas puni (juste mal vu) et semble relativement courant. Cela laisse de la place à des disciplines considérées comme modernes et ça me plaît beaucoup. Le dernier, et le plus « primordial » : la magie. Un excellent compromis a été obtenu entre la magie classique du genre et le propre système de l’auteur. Parfois les sprènes produisent des sorts classiques, parfois ils sont plus imagés, mais ils se fondent parfaitement dans l’univers sans être trop envahissants.


J’écrirais bien un petit commentaire sur le style d’écriture trop classique à mon goût (et bardé de répétitions) mais j’aimerais conclure sur une note positive. Comme je l’ai affirmé plus haut, ce premier tome de La Voie des Rois parle de notre époque et l’exécute à la perfection. Ses thèmes forment ses principales qualités. En elles résident le message délivré, celui qu’on souhaiterait voir plus souvent. Réflexions sur l’absurdité de la guerre, sur l’héritage, sur le pouvoir, sur la place des religions et des arts dans notre société, sur le meurtre et la légitime défense… Au-delà des trop rares moments de bravoure, les meilleurs moments se sont situés dans les dialogues croustillants où les personnages, armés de répartie, se sont livrés corps et âme dans une intarissable bataille de mots. De la littérature dans de la littérature…

Saidor
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le 9 nov. 2017

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