J'en attendais beaucoup, de ce "Lapin Maudit". Sans tourner autour du pot : j'ai été dans l'ensemble assez déçu.
Si vous avez lu d'autres critiques, voire si vous avez des libraires recommandables, vous aurez entendu parler de ce recueil de nouvelles de la coréenne Bora Chung. C'est effectivement un livre qui, sans prétention aucune, tente au moins une approche "différente" du fantastique moderne. Et bon sang, j'adore ça, moi! Cela me faisait immédiatement penser à du Mariana Enriquez (et d'ailleurs, la comparaison n'est pas absurde, au moins dans l'axe "réalisme magique" des récits...), et on peut s'avouer que si nous avons un joli fantastique, il est bien souvent dans des standards "king" excellents mais difficiles à briser (où est Barker, MAIS OU EST BARKER?).
Alors, sur ce point-là, je ne serai pas médisant: "Lapin Maudit", si je ne suis pas sûr qu'il réinvente l'horreur ou le fantastique, nous en propose un traitement extrêmement original. Ne connaissant rien à la culture coréenne et encore moins sa littérature, il sera bien difficile pour moi d'en jauger la responsabilité. Il y a à coup sûr, dans certaines de ces nouvelles, une "bizarrerie", une étrangeté de l'univers qu'on peut aisément retrouver dans certaines oeuvres d'horreur japonaise, mais encore une fois, je n'ai ni la prétention ni la connaissance pour affirmer que la littérature coréenne se distingue ou non de l'imaginaire horrifique asiatique en général (on constatera que par chez nous, la littérature "européenne" ne correspond pas à grand-chose, à titre d'exemple...).
J'ai néanmoins eu un gros problème, avec Bora Chung.
Ses histoires ne sont pas divertissantes. Mais alors, vraiment pas.
On retrouve souvent une idée de base extrêmement originale, très "wtf", ce qui me ferait classifier ce style de weird-horror (eh oui, j'invente des trucs ; l'ai-je vraiment inventé ?). C'est étrange, ça met un peu mal à l'aise, et la réaction des personnages l'est encore plus : une espèce de "tolérance" au surnaturel, intégré comme une atypie banale, qui vient définitivement flirter vers le réalisme magique.
Mais voilà, c'est tout biscornu, certes, étonnant, certes, mais pas vraiment divertissant. Et si vous me lisez, vous savez qu'à moins d'un style légendaire (Bret Easton Ellis), j'aime pas vraiment les moulins à vent.
On dirait que Bora Chung, qui pourtant se défend en interview de ne faire autre chose qu'écrire des "histoires", crée des trucs zarb pour que l'on vienne y calquer des réflexions étranges. Ce que ne manque pas de faire son traducteur anglais, qui a décidément sorti une espèce de papier très con sur "Frozen Fingers" en tant qu'allégorie du patriarcat (il y mentionne des espèces de trucs en rapport avec des "small dicks", bon j'avoue, c'est pathologique là...).
C'est effectivement très clair qu'on peut venir mettre sur les textes de Bora Chung n'importe quoi.
Il en reste que ses histoires manquent cruellement de structure. Et surtout, de ce que j'appellerais modestement le "souffle narratif", c'est-à-dire cette chose inexplicable qui fait qu'un lecteur est happé par un texte, ne le lâche pas, y réfléchit longuement et bien après sa lecture alors qu'il n'avait signé que pour un simple divertissement au premier abord.
Là, on a la franche impression de lire un truc "intellectualisant" et je déteste ça.
Si l'on considère la lecture de "Lapin Maudit" comme une base de réflexion, un truc où on va chercher un sens à une histoire surprenante, ce qui se rapprocherait le plus de ce qu'est l'art moderne à mes yeux, alors on ne s'est pas trompé de chemin mais c'est alors très chiant à mes yeux.
Si l'on considère la lecture de "Lapin Maudit" comme une expérience, une recherche d'une "sensation" que l'on serait amené à comprendre ou au moins intégrer par la suite, ce qui se rapprocherait potentiellement de ce qu'est l'art moderne pour moi, alors c'est un peu loupé. Pas complètement, parce que vous lirez malgré tout les nouvelles "Lapin Maudit" et "La Tête", qui sont toutes deux très bonnes.
Si l'on considère, in fine, "Lapin Maudit" comme un recueil de "bonnes histoires", ce qui pour moi résume entièrement ce que devrait être un roman ou un recueil de nouvelles, c'est plutôt moyen.
Bref, je ne veux pas me faire d'ennemis ici, d'autant plus lorsque je remarque la grande appréciation de ce recueil au-travers des diverses critiques. Je suis probablement passé à côté!