Abdellah Taïa signe un roman hybride, à la fois récit intime et méditation engagée et militante. Loin de l’exil confortable, son narrateur, Youssef, revient dans sa ville natale de Salé après vingt-cinq ans de vie en France, confrontant son passé intime à une société toujours marquée par l’homophobie et le poids des traditions et d’interdits.
Youssef, enseignant et écrivain, revient au Maroc pour la succession de sa mère. La ville familière, ses ruelles et ses remparts — le « bastion » — l’accueillent avec leur lot de souvenirs et de blessures. En renouant avec ses six sœurs et son premier amour, Najib, désormais impliqué dans la corruption ambiante, il doit affronter les stigmates de son homosexualité et la violence silencieuse.
Avec une plume poétique, l’auteur manie le français avec une intensité rare, mêlant lyrisme et colère pour décrire l’intime et le collectif. Les six sœurs de Youssef incarnent la résistance et la tendresse, offrant un contrepoint chaleureux aux tensions sociales.
Le roman dénonce sans concession l’homophobie, la corruption et les violences de genre, tout en conservant un profond amour pour son pays.
Je me suis parfois perdue dans cette alternance entre le présent et les souvenirs, les multiples voix et les digressions politiques sont très intéressantes, mais gênent parfois la fluidité du récit.
Youssef, en narrateur double de l’auteur, garde une certaine distance affective, ne permettant pas au lecteur de pleinement avoir de l’empathie pour le personnage.
Pour autant, j’ai été touchée par la force de ces confessions mêlées à un plaidoyer social. La voix d’Abdellah Taïa, à la fois vulnérable et combative, fait de Le Bastion des larmes un portrait à vif d’un Maroc en mutation. Les passages où les personnages féminins se font écho sont particulièrement marquants, insufflant chaleur et résistance à l’ensemble.
Abdellah Taïa conjugue mémoire personnelle et engagement. Un ouvrage exigeant et sincère, qui bouscule et émeut, invitant chacun à revisiter ses propres convictions.
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