Je n’ai pas envie de radoter, et je ne vais même pas utiliser cette bonne vieille technique qui dit « Je ne vais pas répéter une millième fois » et aboutit à une mille-et-une-ième répétition. Car nous en sommes arrivés à ce stade : plus personne n’a besoin de vanter Stephen King. Vous dire que cet homme est un des plus grands auteurs que cette vaste Terre ait fait germer est inutile ; et vous décrire son talent très unique à vous toucher avec la précision d’un sniper est presque démodé. Les faits sont là : un seul auteur est capable de battre Stephen King sur son terrain, et c’est Stephen King lui-même.
Il y a une époque où je vantais encore et encore un certain Clive Barker. Et loin de moi l’idée de le dénigrer désormais, il reste pour moi une influence majeure. Je le disais plus original que King, et offrais cette explication aussi banale que surfaite : Clive Barker nous entraine dans ses peurs, ses angoisses alors que King se contente de travailler une peur commune à tous. Deux erreurs, dans ce propos : 1) « se contente » sonne bien faux ici, tant l’art de foutre les chocottes également à tout le monde est difficile, 2) après bien des livres de King lus, c’est une assertion globalement fausse, puisque Stephen King possède des peurs bien particulières, lui aussi, et une manière de les raconter unique, et surtout 3) Stephen King est bien plus qu’un « écrivain qui fait peur ». Alors bien sûr que certains de ses écrits relèvent d’une certaine forme d’« horreur », et il n’y a rien de honteux là-dedans, tant cet auteur livre ses lettres de noblesse au genre. Mais d’une manière plus globale, Stephen King est juste un bon écrivain. Un excellent, un sublimissime conteur. Et c’est là le principal.
Le Bazar des Mauvais Rêves ne déloge pas à la règle, et j’irai même jusqu’à dire que c’est un de ses meilleurs recueils de nouvelles. Il est tout bonnement excellent. Je pense que j’aurai bien du mal à vous en parler comme je voudrais... Ce que je sais, c’est que le plaisir que j’ai eu à la lecture de ce bouquin n’est pas quantifiable. Cette période de l’année n’y était pas pour rien : quand les nuits deviennent froides et les journées grises, il n’y a rien, mais alors rien de mieux qu’un Stephen King (ou bien : un Stephen King et un thé noir avec du miel).
Je ne vais pas user de ce mode de critique que j’avais utilisé lors de mes premières critiques de recueil de nouvelles, qui consistait simplement, et avec une certaine fainéantise, à dérouler linéairement le programme. Je vais tenter de regrouper un peu, et de vous donner un aperçu de la pépite en papier que vous pouvez tenir entre vos mains, si vous le décidez.
Commençons par ce qui est peut-être « le moins bon » du recueil, en tous cas ce que j’ai trouvé le moins réussi. Ces nouvelles-ci, loin d’être mauvaises, sont simplement d’un niveau un peu inférieur au sentiment de chef-d’œuvre globale. Je parle du poème « Eglise d’ossements » qui, s’il est riche en images marquantes, est un peu brouillon et ne gagne pas la qualité de l’autre poème du recueil. Je parle également de « Morale » qui est à coup sûr une nouvelle très réfléchie, et qui donne honnêtement à réfléchir, mais qui n’a pas cette qualité d’histoire si chère à Stephen. C’est intéressant, ça bouleverse, et c’est très réussi, mais encore une fois, ça n’atteint pas le sommet des autres récits. La nouvelle qui lui succède, « Après-vie » n’est pas non plus spécialement remarquable, même si je le répète pour la dixième fois, cela reste très bon.
Viennent ensuite un groupe de nouvelles, qui feront plaisir aux fans de King de la première heure, et même de la dernière (je plaisante, elle n’existe pour l’instant pas, cette dernière heure !) : des nouvelles divertissantes, avant tout d’excellentes histoires, qui n’en perdent pourtant pas une pour faire réfléchir son lecteur. C’est le cas de « Mile 81 », qui renoue avec les monstres originels de Stephen King : je parle bien sûr des démons mécaniques. Le petit personnage que King met en scène tombe juste et lance le recueil de nouvelles sur les chapeaux de roue, prouvant d’ores et déjà que King est au sommet de son art. « La Dune », moins enthousiasmante, revêt quand même l’habit de ce bon vieux recueil « Brume », dont elle semble tout droit être sortie. L’histoire d’un vieux monsieur qui jour après jour, va sur sa plage personnelle pour y lire les noms écrits sur le sable, promesses de morts prochaines... « Sale Gosse » est excellente dans la pure veine King : ça fait frissonner, ça fait se sentir mal à l’aise, et c’est toujours extrêmement bien raconté. J’ai trouvé « Une Mort » très maline, et d’une certaine manière, ça change de lire du King avec cette écriture aussi froide et dépourvue. C’est plutôt bon. « A la dure » jour avec son lecteur, lui faisant prendre de l’avance quelques pages avant le dénouement, et le faisant se sentir plus mal à l’aise que jamais : excellent ! « Ur » et « Nécro » vous combleront à souhait, tant elle regroupe la grande qualité de divertissement du King, autant qu’une écriture assimilée à un régal.
J’aimerais aussi vous parler d’un autre groupe de nouvelles, plus personnelles, et affirmant devant l’éternel à tous ses détracteurs que King est un putain d’écrivain : des nouvelles qui s’attachent à parler de scènes de vie, pour le coup pas forcément « fantastique » ou horrifique. Cela fait des travaux superbes : « Premium Harmony », très touchante, « Batman et Robin ont un accrochage » : encore plus touchante. « Mister Yummy » est également une belle réflexion sur la mort et bien des thèmes s’y rapportant. C’est beau.
Et pour conclure, les meilleures d’après moi. « Billy Barrage », histoire de baseball extrêmement maitrisée. Je n’y connais rien en baseball et c’est là la magie de King : il m’a fait vivre pour ça le temps de quelques dizaines de pages. C’est magique. « Le Petit Dieu Vert de l’Agonie » est également un récit de Stephen King excellent, très, très réussi. Réflexion sur le thème de la douleur, difficile d’y être insensible. Surtout que comme d’habitude, King ne s’y prend pas comme un manchot pour vous faire aller où il veut que vous alliez. « Feux d’artifice imbibés » est une nouvelle pleine d’humour, et d’amour aussi. L’histoire d’un gars et de sa mère, qui n’hésitent pas à s’en envoyer deux trois dans le cornet, et pour qui s’est engagée une sorte de guerre avec leurs riches voisins le jour de fête nationale. Une guerre à coup de feux d’artifice.
Et il y a « Le Tonnerre en été ». Je ne vais pas m’étaler : cette histoire m’a ému aux larmes. Et ce n’est pas une tournure de langage, ce n’est pas un artifice : j’ai vraiment été très touché. C’est simplement magnifique, sans contraste dans mes sentiments. Un chef-d’œuvre, tout simplement. Il vaut parfois mieux ne pas tenter de mettre des mots sur l’inexplicable (même si King me démentirait probablement...).
Bon, alors, que vous dire en conclusion ? Est-ce utile de vous conseiller ce livre ? Car j’ai nommé cette critique « Par ces nuits froides... », évidemment pour souligner le fait que dans l’immensité obscure de la nuit, les histoires de King ont un écho tout à fait délectable. Mais il y a aussi un tout autre sens : me croiriez-vous si je vous disais que ce livre, à lui seul, vous donne une motivation pour vous lever et aller braver le froid et la brume ? Si je vous disais que ce livre est un appui sur lequel construire votre quotidien, le temps de sa lecture ? Je n’aime pas trop classer des « auteurs préférés », ça n’a pour moi pas de sens. Ce qui en a en revanche, c’est qu’aucun auteur, et même pas Bret Easton Ellis ou Clive Barker, ou même J. K. Rowling, n’a eu un impact si large sur ma vie. Stephen King est pour moi l’auteur par excellence.
Je me suis demandé ce que pensait King de l’élection de Donald Trump, ce jour. Je crois qu’on le saura très vite, lorsqu’il décidera de prendre la plume pour régler ses comptes.
Wazlib
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le 9 nov. 2016

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