Ce champignon se lit presque comme un roman. On se retrouve, dès les premières pages, plongé dans un univers post-apocalyptique : une forêt du nord-ouest américain ravagée par la surexploitation industrielle. Les vieux arbres ont été coupés, ne reste que des pins tordus de peu de valeur. Mais dans cet environnement contaminé par une histoire de violence, de cupidité et de destruction – on entendrait presque le travail des tronçonneuses et le fracas des arbres vaincus – germe une nouvelle valeur, le matsutake. Ce champignon, très prisé des Japonais, ne pousse que dans les forêts perturbées par l’exploitation humaine.


Les industries du bois ont depuis longtemps fermé leurs portes, c’est désormais une communauté hétéroclite de travailleurs journaliers qui se propose de capter cette ressource. Survivalistes blancs, vétérans de guerres étrangères, réfugiés, sans-papiers, précaires, tous répondent à l’appel de la forêt pour des raisons diverses : appât du gain, désir de liberté, tradition et transmission, nécessité de se cacher dans les marges. Réunis au même endroit par le champignon, ils observent entre eux une distance prudente et la compétition est féroce. Chasser le champignon, c’est se lever avant l’aube, passer la journée en forêt, mobiliser tous ses sens pour le débusquer et, le soir venu, négocier avec ardeur pour vendre ses prises au plus offrant.


Résolument interdisciplinaire, ce livre d’anthropologie mobilise également les sciences économiques (analyse de la supply chain, critique du capitalisme de la captation et de la scalabilité) – biologie (étude des multiples collaborations entre les espèces), histoire comparée de la gestion des forêts au Japon, en Chine, en Scandinavie et aux Etats-Unis et ethnologie. Tout au long du livre, Anna Lowenhaupt-Tsing file une métaphore passionnante entre le champignon, et les écosystèmes humains et non-humain qui poussent autour. L’auteure pose des concepts vivifiants – diversité contaminée, précarité, agencement polyphonique, collaboration – qui éclairent les opportunités qu’offrent, puisqu’il faut bien vivre avec, les ruines du capitalisme. Ce livre est une invitation à s’affranchir d’un désir de Nature immaculée, de paysage vierge de toute présence humaine, et à se pencher sur les écologies issues de la perturbation, créatrices de nouvelles possibilité de rencontre, et donc de valeur et de vie. C’est à cet endroit que, selon l’auteure, nous trouverons de nouveaux communs.

hectorbelleville
9

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 25 janv. 2020

Critique lue 219 fois

2 j'aime

Critique lue 219 fois

2

D'autres avis sur Le Champignon de la fin du monde

Le Champignon de la fin du monde
hectorbelleville
9

De la vie dans les ruines

Ce champignon se lit presque comme un roman. On se retrouve, dès les premières pages, plongé dans un univers post-apocalyptique : une forêt du nord-ouest américain ravagée par la surexploitation...

le 25 janv. 2020

2 j'aime