Dîner, causeries et, en dessert, une petite énigme ?

Un recueil plaisant où l'on retrouve la verve inimitable du Bon Docteur, sa manière bien à lui d'accompagner ses textes de petites anecdotes sur leur conception, le contexte de leur création voire la manière dont ils ont évolué ; les amateurs de ses Histoires mystérieuses et de ses recueils de nouvelles de SF de jeunesse comprendront aisément.
Avec le recul, ces nouvelles policières perdent beaucoup d'impact, en tous les cas davantage que les récits de science-fiction. Construites sur des enchaînements de dialogues dont Asimov a le secret (il n'est pas un écrivain d'action et préfère faire parler ses personnages plutôt que de décrire des événements ou des décors), ces historiettes se rapprochent davantage des enquêtes d'Agatha Christie (quand bien même il s'en défende dans la préface) que des thrillers modernes. On est dans la subtilité, l'analyse rhétorique, la déduction à distance - puisque ces enquêteurs en herbe, dont ce n'est pas le métier (on parle de quadras en goguette se réunissant une fois par mois loin de leur femme pour parler de tout et de rien avec cette toute-puissante dignité caractérisant le mâle en meute), ne se déplacent jamais sur le lieu du forfait. Questionnant un invité soumettant un problème quelconque, parfois vraiment futile, parfois ayant des répercussions possibles sur la Sécurité Nationale, ils tentent de disséquer l'énigme en morceaux signifiants sur lesquels ils exercent leur savoir-faire (chacun d'entre eux, sans être expert, a de sérieuses compétences dans un domaine différent : écrivain, artiste, spécialiste des codes pour le gouvernement, avocat ou chimiste). Méthodiques ou fougueux dans leurs démonstrations, n'hésitant jamais à s'apostropher sur un détail, ils en viennent systématiquement à la conclusion qu'ils ne parviendront pas à trouver la solution, ou en tous cas pas une suffisamment satisfaisante. C'est là qu'intervient l'ineffable Henry, homme distingué et racé d'une politesse exquise qui se trouve être leur serviteur au restaurant où ils organisent leur réunion annuelle. Et Henry trouve toujours la réponse, s'effaçant invariablement derrière un constat tout en modestie (les Veufs Noirs ont défriché le terrain, il ne restait donc que la dernière possibilité).
Reste que les résolutions dans ces nouvelles peinent à présent à surprendre, ou en tout cas à stimuler véritablement, bien qu'Asimov parsème son récit d'indices permettant parfois de devancer la chute finale. C'est souvent gentillet, lié à un défaut d'observation, une précision linguistique, une interprétation erronée pour lesquelles un peu de bon sens mais tout de même une sérieuse culture (pour le dernier récit, il fallait bien connaître Alice au pays des merveilles) permet de démêler le vrai du faux - et accessoirement à Asimov de faire étalage de sa science avec élégance et style. On est tout de même encore loin d'un texte comme le Crime Ultime dans lequel les Veufs noirs tenteront de déterminer de quoi pouvait bien parler le seul ouvrage que, selon Conan Doyle, Moriarty aurait publié, une nouvelle bien plus complexe et dense où chacun des protagonistes se voit valorisé dans ses compétences.
Agréable.

Vance
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le 4 juil. 2018

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Pour découvrir une autre facette d'Asimov...

de mon point de vue, ça ne vaut pas les romans ni les nouvelles de SF d'Asimov, mais cela reste plutôt divertissant. J'ai une édition Flammarion contenant 5 nouvelles et des jeux à la fin du...

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