La Ballade du Café Triste : le meilleur de Carson McCullers

Née en 1917 en Géorgie, auteur du "Sud profond", Carson McCullers écrivit son premier roman, "Le cœur est un chasseur solitaire" en 1940 à l'âge de 23 ans. Il lui valut une renommée internationale immédiate. Son deuxième roman, "Reflet dans un œil d'or", écrit en 1941 fut porté à l'écran par John Huston.


La vie de Carson McCullers fut difficile de par sa santé fragile mais aussi à cause d'une situation sentimentale compliquée: elle divorça deux fois de son mari qui finit par se suicider en 1953. les relations triangulaires marquent son œuvre et elle dédia " Reflet dans un œil d'or" à Anne-Marie Scharzenbach dont elle était tombée amoureuse.


"La ballade du café triste" est un véritable joyau. C'est un récit de 117 pages qui commence ainsi: "La ville même est désolée; il n'y a que la filature, des maisons de deux pièces pour les ouvriers, quelques pêchers, une église avec deux vitraux de couleur et une grand-rue misérable qui n'a que cent yards de long". C'est une ville qui n'a pas de nom, seuls quelques fermiers se rassemblent le samedi soir pour discuter affaires. "Le reste du temps, la ville est triste, solitaire, un endroit loin de tout, en marge du monde".


C'est dans ce décor que va se jouer un drame, comme une pièce de théâtre dans laquelle les trois unités seraient respectées. Unité d'action: pas d'intrigue secondaire. Unité de lieu: tout se passe au café de Miss Amélia. L'espace temps est linéaire et restreint.


"C'est ici pourtant, c'est dans cette ville, qu'on trouvait un café"; on nous le dit d'emblée, trois personnages vont jouer ce drame : Miss Amélia Evans, "Cousin Lymon" le bossu et l'ancien mari qui "provoqua le désastre". Je ne dévoile rien ici de l'histoire, car tout ceci est contenu dans les deux premières pages, c'est un lever de rideau.


Carson McCullers a bâti son histoire en prenant pour départ une brève rencontre : celle d'une grande femme maigre avec un bossu à la hanche aperçue dans la rue. C'est en partant de telles anecdotes qu'Henry James écrivait ses nouvelles et de même qu'Henry James, elle sublime l'image de cette femme qui n'a jamais aimé en lui prêtant dès l'abord une âme sauvage.


C'est un récit très fort que "La ballade du café triste", dans un sud "chauffé à blanc". Une construction sans faute, un long crescendo, avec un chant choral au début et à la fin. Une histoire d'amour où "celui qui est aimé a toutes les raisons de craindre et de haïr celui qui l'aime. Car celui qui aime est tellement affamé du moindre contact avec l'objet de son amour, qu'il n'a de cesse de l'avoir dépouillé, dût-il n'y trouver que douleur".


Le génie de Carson McCullers consiste à avoir incarné son pessimisme dans le "spectacle" qui se déroule comme sur un ring sous les yeux des villageois. La fête est finie, chacun rentre chez soi.


"Oh oui, comme la ville est désolée. Dans les après-midi du mois d'août comme la route est vide et blanche la poussière, et comme le ciel ressemble à un miroir aveuglant...Pas un mouvement. Pas une voix d'enfant. Juste le bruit étouffé de la filature".

Créée

le 2 janv. 2016

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