Premier tome de son quatuor de LA, Le Dahlia Noir est la porte d’entrée vers le polar noir de James Ellroy, mais aussi son oeuvre la plus personnelle.
Puisant son inspiration d’un fait divers sordide qui aura marqué l’Amérique toute entière (le brutal assassinat d’une jeune femme classé cold case encore à l’heure actuelle) et lui-même tout particulièrement; James Ellroy décide de baser son roman sur ce sombre meurtre. Renvoyant ainsi implacablement au violent décès de sa propre mère, l’auteur puise dans son propre esprit afin d’y insuffler la passion dévorante qui s’ensuivra au fil des pages.
La passion, c’est effectivement le maitre mot de cet ouvrage. Passion qui marque chaque personnage, les prend jusqu’à l’étouffement, peut-être même jusqu’à leur propre perte... C’est ainsi que l’on suit Bucky Bleichert, jeune membre du L.A.P.D dont la carrière n’en est qu’à ses balbutiement et qui; par un heureux concours de circonstances sportif, se verra coéquipier du sergent Lee Blanchard. Lequel s’avèrera bien vite un réel compagnon de Bucky. Mais la découverte du cadavre mutilé de la jeune Elisabeth Short réveillera de douloureux souvenirs chez Lee, dont la frénésie de poursuite du tueur n’aura de cesse de croitre.
Un emportement dans les réactions, dans les actions, qui sera toute la dynamique de nos personnages qui évoluent dans un Los Angeles de la fin des 40’s parfaitement retranscrit ! Né en 1948 (au coeur même de la narration), l’auteur sait parfaitement retranscrire l’ambiance de cette Amérique d’après guerre. Dédicaçant le roman à sa propre génitrice, Le Dahlia Noir apparait comme la catharsis de James Ellroy, un écrit qu’il qualifie lui-même de « Dément. D’une niaiserie magnifique. ». Si une telle implication de la part d’un auteur dans son oeuvre est toujours synonyme d’un travail de qualité, il est parfois difficile pour le lecteur extérieur de réellement saisir un tel dévouement des divers protagonistes, allant jusqu’à vouer leur vie (littéralement) pour cette enquête. A ce titre, Bleichert conclu même la narration par une déclaration d’amour envers cette Betty Short dont il aura redessiné le portrait et le vécu sans pourtant jamais la connaitre. On ne peut ainsi s’empêcher de manquer réellement une pleine compréhension d’une telle fougue, d’un tel abandon. Sûrement un sentiment que seul l’auteur lui-même pourra pleinement saisir, comme une double lecture qui ne soit accessible qu’à lui seul. Lui-même concédant le parallèle entre les filatures désespérées de Bleichert et ses propres dérives de voyeurismes et autres idéaux incestueux. Profond, puissant, une livraison touchante de sincérité pour peu qu’on en prenne conscience, mais trop flou pour être entièrement comprise par le lecteur, et parallèlement trop présente pour être ignorée.
Du reste, la qualité de narration est évidente et verse quasiment dans le sans faute. Si, comme je le citait précédemment, la fidélité temporelle est respectée, l’ambiance propre au polar noir est tout aussi bien mise en exergue. De par son crime atroce, bien sûr, renforcé par la véracité des faits, mais également par ses états d’âmes perpétuelles de nos personnages, et le récit omniscient qui achève d’étaler toute la dimension psychologique de ce roman.
De plus, James Ellroy sait parfaitement enchainer ses rebondissements et manie admirablement la logique des faits pour leur conférer une articulation logique. La dernière partie du récit sera ainsi parsemée de nombreuses révélations afin de surprendre le lecteur et éclairer les diverses zones d’ombre. Car contrairement à la réalité, James Ellroy a tenu à achever son enquête et à désigner un coupable (une façon également de pouvoir enfin faire le deuil de sa mère dont le tueur n’a jamais été identifié ?). Là encore, le côté obsessionnel autour de Betty Short pourra réfréner certains à accepter un tel dénouement. Mais c’est là une passion dont je parlais plus en amont qui est essentielle au récit, sa quintessence même.
Exorcisant ses démons, James Ellroy trouve dans les pages du Dahlia Noir la force de pouvoir apaiser son esprit. S’appuyant sur l’un des faits divers les plus forts de l’histoire américaine du XXème siècle et faisant encore echo aujourd’hui, il livre là un excellent polar noir et un modèle du genre. L’ambiance résolument sombre, la fidélité de reconstitution de cette Cité des Anges à l’aube des années 50 et l’attachement envers les divers personnages plongent le lecteur dans une enquête haletante, dont la frénésie des découvertes et rebondissements n’aura de cesse de faire progresser la lecture des chapitres. Reste cette passion dévorante, destructrice, qui reste parfois sourde à l’interprétation du lecteur.