Nathacha Appanah est une auteur dont on parle peu. C'est bien dommage, parce que ses romans renferment tout à la fois une force et un refus du pathos qui la font automatiquement chère à mon coeur. On peut s'en prendre plein la gueule sans forcément entendre une musique triste en fond sonore. Nous l'allons démontrer tout à l'heure.

Dans le Dernier Frère, Nathacha Appanah ne nous parle que de culpabilité. Basiquement, comment continuer à vivre quand on a causé la mort d'un être cher. On commence in media res, un vieil homme plongé dans ses souvenirs qui attend son fils pour aller au cimetière, sur la tombe d'un garçon mort en 1945 à 10 ans. Rien que pour traiter cet épisode, à la fin duquel je pleurais à chaudes larmes dans le métro, il y avait des dizaines de façons. Elle a choisi le coup de poing, la description clinique. Elle laisse son lecteur faire travailler son imagination en le guidant par petites touches, toutes petites, toutes douces, pour le laisser arriver seul dans des recoins de son esprit qu'il n'aurait pas forcément voulu rouvrir. Puis on tourne la page et on se retrouve nez à nez avec un môme pas bien vieux qui vit avec ses deux frères (un plus vieux, l'autre plus jeune) et leurs parents à l'île Maurice, dans un village paumé au beau milieu de rien. Et là, c'est idyllique : les enfants sont heureux malgré l'extrême pauvreté, la faim, l'alcool et les coups du père. Et on les comprend. Mais comme il faut bien une chute du Paradis originel, une tempête va leur faire tout perdre, et ils partent « en ville » où le père a trouvé du travail comme gardien de prison. Le môme, déjà très perturbé par la disparition de tout ce qu'il aimait dans sa vie d'avant, rencontre un petit bonhomme aussi blond et pâle qu'il est noir et crêpu, qui cherche à rejoindre un pays bizarre nommé « Eretz ». Rien de plus, on ne parle pas de la guerre, on ne s'appesantit pas sur l'origine d'un petit blond nommé David qui porte un bijou en forme d'étoile dans une prison mauricienne. On se contente de parler du plaisir que ces deux gamins ont à passer du temps ensemble, et de leur fuite qui sera fatale au petit blanc malade.

Le dernier frère est un roman poignant parce qu'il ne cherche pas à faire pleurer dans les chaumières. Il raconte, du point de vue d'un enfant de 10 ans, une formidable histoire d'amitié qui se finira mal, et on le referme songeur. C'est un superbe roman.
Ninaintherain
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le 26 mars 2012

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