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La Grande Oeuvre de Thomas Mann, malheureusement trop peu connue en France de par la difficulté de son contenu et de son style. Cette critique n'a pas vocation à être un résumé mais une brève restitution du contexte est primordiale.


Il s'agit d'une biographie fictive d'un compositeur composite, Adrian Lieverkühn par son ami d'enfance Silesius Zeitblom. Il s'agit d'un grand assemblage événements et de personnages historiques dans l'Allemagne de la fin du XIX et du début du XX ème siècle : ainsi le héros est Nietzsche l'irascible, mais aussi Schönberg l'inventeur de la musique sérielle, Beethoven, Berlioz, Faust, et Thomas Mann lui-même.
C'est l'histoire d'un génie musicien, terrassé par de violentes migraines, archétype du surhomme de Nietzsche, qui comme Faust fait un pacte avec le diable et entame une longue carrière de composition couronnée de succès, jusqu'à son oeuvre phare du docteur Faustus. Sa chute commence lors de sa contraction de la syphilis qui le rend graduellement ataxique, et grabataire. Il meurt seul chez sa mère abandonné et malheureux.
Mais c'est aussi et surtout l'histoire de l'Allemagne, terrassée culturellement par le nazisme, dont l'ascension et la déchéance jouxte celle du héros. C'est un bel éloge du peuple allemand, de la culture germanique en général et du génie créateur de l'Europe.
C'est un long roman dans lequel dansent le surhomme de Nietsche et le Faust de Goethe, dans leur grandeur et leur faiblesse, leur génie et leur souffrance. C'est l'histoire de la solitude dans la création, le fardeau du talent extrême et de la maladie.


Lieverkühn à l'image de Schönberg développe la théorie du dodécaphonisme, Schönberg qui habitait non loin de Mann à l'époque lui a très vivement reproché de ne pas l'avoir cité dans les premières éditions, ce à quoi l'auteur a rapidement remédié dans les éditions ultérieures.


Une splendide, et je pèse mes mots, analyse de l'op. 111 de Beethoven est réalisée à travers la voix du professeur de Lieverkühn. Beethoven qui, à la fin de sa vie, sourd, colérique et abandonné invente les prémices du jazz et de la musique sérielle. Mal accueillie par un public minable à l'époque, cette sonate op 32 ne contient que deux mouvements, contre trois traditionnellement. Et Mann explique avec un élan poétique mais technique cette décision du compositeur. Il s'agit selon moi du passage le plus poignant du roman.


Le seul bémol, si j'ose dire, est le style habituel de Mann : le discours est éminemment descriptif, extrêmement dilué et pénible à suivre. D'aucuns défendent ce style en expliquant que l'auteur symbolise l'humanisme éclairé face à la barbarie, et qu'il s'interroge ainsi beaucoup sur ses sentiments liés à chaque événement en prenant son temps. Cependant ce style, chez les non initiés à la culture musicale rendra la lecture du Docteur Faustus particulièrement fastidieuse.


Les livres classiques, entièrement dédiés à la grande musique sont rares. Il s'agit d'un très grand roman qui a une portée culturelle immense.


Un chef d'oeuvre difficile, long et fastidieux, mais beau, historique et terriblement humain.

DogtorWoof
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le 23 oct. 2016

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