Au delà de la violence, une question pour chaque lecteur!

Del Amo développe un style ne mettant aucun gant pour plonger le lecteur dans la violence, l’âpreté du monde, la noirceur des sentiments qui l’habitent et, semble-t-il, l’apathie de ceux qui, confrontés à ces puissances destructrices, ne montrent que peu de velléité et de volonté à s’extraire de cette brutalité, négation même de leur personne !

Jean-Baptiste Del Amo nous avait déjà montré cette furie avec « Règne animal », livre décrivant la violence bouseuse, merdique qui s’abattait sur un monde rural n’arrivant plus à vivre dignement du fruit de son labeur. Comme on était loin alors de la nature champêtre du brave laboureur ou du semeur au geste auguste qui, à midi, s’arrêtaient et ôtaient le chapeau pour prier l’Angelus avant de casser la croûte avec un bout de fromage , de saucisson et une franche goulée de vin du pays !

Ici, la violence de la nature, celle de l’environnement comme celle de l’homme, est rude, toujours présente même si larvée. ‘Elle’ et le fils ne peuvent vivre que sur le qui vive ou l’abandon à l’horreur. Et malgré cette violence omniprésente, difficile à digérer, le lecteur suit l’auteur là où il nous entraîne tant sa plume est efficace, précise, évocatrice.

Hors de toute violence mais dans une recherche d’y échapper, ne fusse qu’un moment, je vous laisse découvrir une scène quasi cinématographique, montrant la puissance d’évocation de Jean-Baptiste Del Amo.

« Dans la salle de bains, elle ouvre le débit du pommeau de douche, se ravise, ferme la bonde de la baignoire et tourne le robinet pour couvrir le bavardage lointain des hommes.

Elle s’assied sur le rebord du bac, gagnée par une grande lassitude, ses mains posées de chaque côté de ses cuisses sur les carreaux de faïence. Elle reste sans bouger, le regard sur le tapis de bain rose à ses pieds, bercée par le bruit de l’eau qui s’écoule à gros remous, par la vapeur légèrement chlorée qu’elle sent monter derrière elle, se déposer sur les cheveux de sa nuque et embuer la pièce. »

On voit cette scène, on la prendrait bien en photo, à la Hamilton, avec une belle jeune blonde embuée dans un décor pastel … Et l’auteur de poursuivre :

« Elle se déshabille, abandonne ses vêtements au sol, étend ses jambes alourdies, ses bras aux articulations noueuses endolories par les mêmes gestes répétés tout le jour. Elle entre dans le bain fumant … »

En une phrase, la blonde est partie. On a changé de film, on nous a troqué la jeune blonde pour une vieille fatiguée de vivre ! Hé oui, l’auteur excelle dans la description, mieux, la suggestion. On lit, on a le film en tête, on s’y voit, on y croit, totalement et tout bascule. Del Amo évoque ses personnages. Il libère quelques particules d’idées ou de faits, nourrit l’imagination du lecteur et lui permet de comprendre, de suivre cette plume du beau au laid, de la quiétude à l’angoisse, de la sérénité à l’horreur. Une invitation à la réflexion sur ce qu’est l’Homme, sur les moteurs de son existence. De quoi, de qui faut-il se dépouiller pour tout simplement ‘Être’ ?

Pour nous entraîner à sa suite, Jean-Baptiste Del Amo met en scène trois personnages : le fils, dépourvu de prénom comme d’avenir, la mère, enceinte et au passé douloureux qui s’apprête à vivre un présent plus lourd encore, et l’homme, mari qui a disparu longtemps et qui, revenant, s’installe en Maître et Seigneur, reprend la place qui n’était plus la sienne. L’a-t-elle seulement été un jour ?

Ils n’ont pas de nom, ce ne sont que des « il, elle ou lui », sans patronyme pour se reconnaître uniques et dignes d’être ! La violence est, comme les voies du seigneur, impénétrable. On ne peut la comprendre, elle est là sans intention assumée , sans source potentielle de partage, de clarification ou de forces vives.

Et, même si le sujet est lourd, la plume de Jean-Baptiste Del Amo nous tient en halène et nous captive jusqu’au bout. La fin nous laissant peut-être sur notre faim… mais dans ce bain d’agression permanente de la vie, une solution peut-elle sortir d’une plume comme un lapin du chapeau ? Peut-être est-ce à nous de fermer le livre et réfléchir pour trouver quelques ébauches de solution permettant de mieux panser le monde.


Créée

le 4 déc. 2022

Critique lue 58 fois

2 j'aime

4 commentaires

Critique lue 58 fois

2
4

D'autres avis sur Le Fils de l'homme

Le Fils de l'homme
Cannetille
9

Fatale tragédie humaine

Soudain réapparu après des années d’absence et de silence, un homme convainc sa compagne, enceinte d’un autre, et son fils de neuf ans, de le suivre aux Roches, une bâtisse difficilement accessible...

le 6 avr. 2022

4 j'aime

3

Le Fils de l'homme
François_CONSTANT
9

Au delà de la violence, une question pour chaque lecteur!

Del Amo développe un style ne mettant aucun gant pour plonger le lecteur dans la violence, l’âpreté du monde, la noirceur des sentiments qui l’habitent et, semble-t-il, l’apathie de ceux qui,...

le 4 déc. 2022

2 j'aime

4

Le Fils de l'homme
PatObeur
8

Trio infernal

Si vous cherchez une lecture d'été complaisante ou divertissante, passez votre chemin ! Ce roman au style très travaillé, à la syntaxe impeccable, au vocabulaire foisonnant et précis, ne laisse...

le 10 août 2023

1 j'aime

Du même critique

Charlotte
François_CONSTANT
8

Critique de Charlotte par François CONSTANT

La chevauchée tragique de la Mort qui pousse à vivre. La Mort qui s’approche, s’accroche, fait peur, étouffe, éloigne, rapproche. La Mort qui force Charlotte Salomon, juive allemande, à devenir sa...

le 20 nov. 2014

18 j'aime

4

L'Amour et les forêts
François_CONSTANT
8

Critique de L'Amour et les forêts par François CONSTANT

À travers « L’AMOUR ET LES FORÊTS », paru chez Gallimard en 2014, je découvre l’auteur Éric REINHART. Belle découverte ! Bénédicte Ombredanne est une lectrice de cet auteur. Ayant apprécié son...

le 27 févr. 2015

17 j'aime

4

L'Art de perdre
François_CONSTANT
8

Critique de L'Art de perdre par François CONSTANT

« L’art de perdre » écrit par Alice ZENITER est la troublante histoire du silence de deux nations conduisant à la perte de paroles, donc de mémoire, de trois générations, celles d’Ali, Hamid et...

le 7 nov. 2017

14 j'aime