<< Le Fléau est l'un des rares romans post-apocalyptiques avec le potentiel d'un classique de la littérature américaine, à la fois une histoire extraordinaire et une dissection perspicace de la fin du vingtième siècle et d'une Amérique obsédée de technologie, moralement désorientée, aux frontières de sa propre destruction. >> (Michael R. Collings, professeur d'université spécialiste de l'œuvre de King)
Le Pr Collings se montre dithyrambique dans son analyse de ce roman de l'illustre S. King, et je dois dire que j'avais beaucoup d'attentes avant la lecture de celui-ci, non seulement du fait de la réputation de son auteur, mais aussi vis-à-vis du thème abordé par l'un des écrivains actuels les plus populaires.



Le Fléau nous transporte ainsi dans l'Amérique des 90's, dans laquelle un virus s'échappe d'une base de recherches de l'armée américaine. Un soldat parvient à quitter la base avant sa fermeture automatique et, avant de mourir, transmet le virus à tous les gens qu'il croise sur sa route. Une épidémie de « super-grippe » ayant un taux de contamination de 99,4 % se répand alors, d'abord aux États-Unis, puis dans le monde entier et, en quelques semaines, la civilisation s'effondre, totalement ravagée. Seule une poignée de rescapés naturellement immunisés contre le virus parviennent à survivre.
Dans cette première partie du roman, King nous décrit le quotidien de ses personnages principaux, différents sans être pour autant exceptionnels, ainsi que la propagation du virus. Il s'agit là du premier et principal point noir du roman pour moi, le premier tiers de l'histoire, voire la première moitié. Cette partie consiste à nous plonger dans les vies de Stu Redman, Larry Underwood, Fran Goldsmith, et j'en passe. S'il est toujours intéressant d'en apprendre sur les personnages principaux, puisque ça permet de mieux comprendre la psychologie des personnages, de nous y attacher, de donner plus de contexte et de profondeur à l'histoire, il faut aussi savoir doser, et c'est là que le bât blesse selon moi. J'ai vraiment trouvé que la lecture de cette première partie était fastidieuse. King nous donne de nombreux détails, nous balade de personnages en personnages, nous permettant certes d'avoir un aperçu de ce qu'ils étaient avant le virus, de nous placer dans une situation de normalité avant la fameuse apocalypse. Toutefois, je trouve que ça tire en longueur, les personnages n'étant pas non plus extraordinaires, que ce soit dans leur rythme de vie, ou de par leur personnalité. Je tiens d'ailleurs à préciser que j'ai lu la version longue, peut-être que la version courte bénéficie d'un rythme plus soutenu. L'histoire met donc un moment à se mettre en place, on assiste à la propagation lente du virus, d'anonymes en anonymes, les premiers cas qui apparaissent à travers tout le pays, et les difficultés pour l'armée de contenir le virus et la rumeur.
Oui parce que cette première partie n'est pas que fastidiosité (Merci à Guéthenoc pour ce mot qui résume tout), certains passages sont très intéressants, la manipulation des médias par l'armée, l'isolement de certaines villes contaminées sous de faux prétextes par exemple. Tout à fait le genre de choses qu'on imaginerait bien se produire si une telle catastrophe se produisait sur notre chère planète Terre, les amateurs de complot y trouveront leur plaisir. La description des personnages ralentit certes le rythme, mais permet tout de même de montrer le caractère superficiel de ce à quoi aspirent la plupart de nos "héros", ce qui sera bien évidemment mis en évidence par la suite.
La mort prend progressivement de plus en plus de place dans l'histoire, le virus se répand, nos héros perdent des amis, des parents, qu'ils soient adultes ou enfants, personne n'est épargné, ou presque. Les chaînes de TV émettent de moins en moins, l'anarchie et la paranoïa se développent, l'armée perd doucement mais sûrement le contrôle, des soldats allant jusqu'à assassiner des journalistes tentant d'alerter la population. Le monde s'écroule, et malgré un rythme toujours trop lent à mon goût, l'histoire ne perd pas de son intérêt (heureusement).
Nos héros vont ainsi se retrouver seuls au monde, éparpillés à travers tout le pays, ne sachant pas si d'autres ont survécu, que ce soient aux USA ou ailleurs. Il s'agit là d'un aspect de l’œuvre que j'ai vraiment apprécié, cette solitude oppressante dans laquelle sont placés nos protagonistes. Je pense notamment à L. Underwood, qui se retrouve dans un NY fantomatique, cerné par d'immenses immeubles remplis de cadavres. Ce sentiment d'être seul dans un monde immense, entouré par la mort, et sans défense, ni réponse. Nos héros voient leurs vies chamboulées, détruites du jour au lendemain, et vont devoir trouver un but, une raison de vivre pour avancer, et se battre pour survivre. La vie humaine (re)devient ce qu'il y a de plus précieux.
Toutefois, là encore, j'ai trouvé que roman se perdait dans un excès de lenteur malgré quelques bons passages (L'évasion de Stu, le passage stressant pour le palpitant dans le tunnel pour Larry et Rita par ex), et je m'attendais d'ailleurs à plus de moments effrayants de la part de l'un des maîtres de l'horreur. Cependant, le roman retrouve du rythme une fois que les différents héros commencent à se rencontrer, ou à rencontrer d'autres survivants, et vont apprendre à survivre ensemble et surtout se trouver un objectif commun : Mère Abigaël.
On retrouve ici la sempiternelle lutte du mal contre le bien au travers de cette opposition entre notre chère centenaire et l'Homme noir, aka le promeneur, aka Randall Flagg, les deux "recrutant" en s'immisçant dans les rêves des survivants. King introduit une dimension mystique, religieuse, dans son roman, RF étant un démon et non un humain (il n'en a que l'apparence), possédant des pouvoirs surnaturels (il peut agir au travers d'animaux, son corps produit une chaleur ardente, il peut rendre fou rien qu'en regardant sa victime etc... On appréciera au passage la référence à Sauron et son œil omniprésent qui voit TOUT (sauf les hobbits)), tandis que Mère Abigaël tient le rôle du représentant de Dieu, qui parle et agit au travers d'elle (via les rêves, des prémonitions, ou par ex quand elle guérit Fran avant de mourir). Les personnages les plus récalcitrants vis-à-vis de la religion accepteront peu à peu cet état de fait, par la force des choses, après tout, le monde s'écroule autour d'eux, alors pourquoi pas partir à la recherche d'une messie centenaire ?
Au travers des péripéties qui vont suivre, le roman va mettre en exergue les travers de l'humanité, ses faiblesses, ainsi certains vont se retrouver dans une fusillade avec des kidnappeurs/violeurs, des survivants rejoignent le côté obscur de la force alors qu'ils ne sont pas tous dégénérés comme notre cher "La Poubelle" et vont être amenés à commettre ou être complices d'actes terribles (crucifixions par ex), illustrant ainsi ce qu'il peut y avoir de pire chez l'Homme. On pourra également constater via la Zone Libre qu'il reste de l'espoir (ouf), dans laquelle les survivants essaient de s'organiser et de garder un semblant de dignité, de morale, incarnant par là-même ce qu'il y a de meilleur dans l'humanité.
La vision est très manichéenne et manque parfois de nuance ou d'originalité, mais la lecture de cette 2e partie du roman n'en est pas moins plaisante, l'insécurité restant très présente ainsi que les aspects sociologiques et psychologiques de ces épreuves (au travers des analyses de Glen, la volonté de réinstaurer l'ordre, la nécessité de l'organisation, de la politique etc).
Le véritable point noir de la 2nde partie aura été sa conclusion pour moi. Si j'ai trouvé la mise en place de l'histoire longue et fastidieuse, à la limite de l'indigeste par moments, j'ai été tout aussi surpris, paradoxalement, par un final que j'ai trouvé rapide et pas assez travaillé à mon goût.
Jamais content vous me direz? Peut-être bien. Mais après avoir autant travaillé sur cette lutte entre les 2 camps, mis en place cet inéluctable combat final entre nos protagonistes et Randall Flagg, je dois m'avouer déçu par le dénouement. Nos 4 héros se dirigent droit vers l'inconnu pour affronter RF, la seule chose dont ils sont à peu près certains c'est qu'ils vont mourir et essayer d'emporter l'Adversaire avec eux. Leur acte paraît suicidaire et inconsidéré, mais tout est basé sur la confiance et l'amour qu'ils portent à Abigaël, ainsi que sur leur foi. Dieu demande de leur part un ultime sacrifice pour le bien de tous, et c'est ce qu'ils vont faire (sympa). Mais finalement Randall se voit vaincu par la bêtise et la foi aveugle de l'un de ses sous-fifres préférés, à savoir La Poubelle, qui lui offre un joli champignon atomique pour se faire pardonner ses errances passées. Le dénouement paraît comique, et me laisse un peu sur ma faim, on évite certes la destruction mutuelle des 2 camps et on n'est pas non plus dans le gros happy ending enrobé de nougat puisque la plupart de nos sauveurs se font emporter par l'explosion ou meurent avant. Mais je reste perplexe sur l'utilité d'aller faire mourir Glen pitoyablement dans la prison de Las Vegas par exemple, ou de les envoyer tous les 4 (enfin 3 du coup) assister à leur mort certaine. je comprends l'idée de l'ultime sacrifice, mais au final nos héros subissent les évènements et ne font rien de particulier si ce n'est provoquer le rassemblement devant le casino et titiller les nerfs de notre ami démoniaque. Pas de bataille épique, de plan ingénieux pour convaincre la foule ou assassiner Randall, juste une foi aveugle, bon. Je m'avoue déçu, même si les ultimes rebondissements concernant le retour laborieux de Stu,Tom et Kojak ont pu compenser.
Là encore, une fois les 3 aventuriers arrivés à bon port, on assiste à une succession de petites ellipses qui se concentrent essentiellement sur la vie des 2 derniers survivants du comité (Stu et Fran), l'un des soucis majeurs des survivants, à savoir leur reproduction, la survie des nourrissons, est abordé et résolu assez rapidement au travers de ce qui arrive au bébé de ces 2 derniers. Par la suite, pas de nouvelles de Tom (malgré l'importance croissante de ce dernier à la fin du roman) ou de la plupart des personnages secondaires, ou de façon très succincte, tout s'enchaîne assez rapidement jusqu'au départ de Stu et Fran de la Zone Libre. Peut-être est-ce une façon de dire que la vie, et la survie, continuent.
On constatera ainsi au travers de ce récit rapide que l'Homme, malgré cette expérience terrible récente, recommence déjà à retomber dans ses travers (via la nouvelle politique en matière de maintien de l'ordre, de réarmement), même si subsiste l'espoir que les générations suivantes apprennent de ces erreurs. Les survivants font tout pour retrouver leur confort (électricité, chaînes de TV, etc), malgré la démonstration tout au long du roman de la futilité de leurs existences passées, du matérialisme, de la consommation, de la course à l'armement et autres problématiques encore actuelles à notre époque. C'est d'ailleurs ce que cherchent à fuir Fran et Stu. A l'origine, la Zone Libre était saine, la confiance et la solidarité y régnaient (pas de portes fermées sauf la maison d'Harold), le maintien de l'ordre étant assuré par un shérif parce qu'un minimum d'organisation était nécessaire (l'anarchie étant dangereuse), l'argent et le pouvoir ne régissaient plus l'humanité, mais cette utopie n'aura au final pas duré longtemps.

Don_Simon
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le 18 juil. 2015

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