Il y a toujours cet éternel débat de l'homme et son œuvre, bataille entre Sainte Beuve et Proust.
Personnellement j'aime à lire une œuvre sans rien savoir de son auteur, comprendre ce qu'elle dit elle-même puis, enfin, m'intéresser à son auteur et aux conditions dans lesquelles il a écrit.


C'est ainsi que j'ai abordé Hobb, Le Guin, Tolkien lui-même, et c'est ainsi que j'ai ouvert Fort Intérieur de Stella Benson.


J'ai tout d'abord été charmé par le style de l'auteur, enchanteur, drôle, un peu cynique. Puis j'ai commencé à me lasser de son humour, un peu répétitif et toujours sur le même registre : les pauvres indigents face à la ridicule et obséquieuse machine des œuvres de charité. Et cela revenait, encore et encore. Le sel de l'acidité et la provocation perdait en pertinence et en amusement au fur et à mesure que s’amoncelaient des traits d'un humour qui ressemblait de plus en plus à une morale aussi habillée qu'une jeune femme sur peinture du XVIIIe.


A force de soupirs, mon regard s'égara dans le feuilletage du livre, et tomba sur la 3e de couverture où la vie de Benson était racontée : une vie et une œuvre engagée dans le socialisme et le féminisme.


J'avais le fin mot de l'histoire : on se moque souvent des ouvrages catholiques et moralisateurs de C. S. Lewis, on rit volontiers avec Flaubert de la volonté des conservateurs de mettre à l'amende Mme Bovary. Et à raison je dirai. Cependant on loue et on se félicite d'une œuvre socialiste et féministe qui a, je trouve, les mêmes défauts, voire pire. Condamnation à géométrie variable qui est loin d'être la seule dans notre beau monde des amateurs de littérature, où l'on critique Marivaux pour ses personnages féminins ingénus tout en se précipitant sur le dernier roman lauréat du prix Booker.


Ici nous sommes face à un problème classique : la morale affadit la beauté de style, alourdit la légèreté du ton, empoisonne l'œuvre. Elle interfère toujours, et toujours de manière unilatérale.
Si au moins il y avait une pluralité dans les critiques, comme chez Chesterton qui raille volontiers son propre camp, mais non : toujours le pauvre contre la bourgeoisie, l'individualité contre la norme. Si au moins c'était discret, comme chez Le Guin, mais non, il faut que ce soit aussi criant et fréquent qu'une porte qui grince.


Le style est bon, les personnage sont attachants, et tout est gâché par les assauts d'une moraline de l'auteur. Mais aujourd'hui on la redécouvre et on la loue, on la porte aux nues comme une pionnière. Rendons lui justice et remettons son œuvre à sa place, aux côtés de Brigitte et Jean-Louis Dubreuil.

BaronSamedi-SDCE
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le 14 avr. 2022

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