Ce livre est le dernier roman intégralement écrit par Joseph Conrad. Il raconte l'histoire de Peyrol, un ancien pirate de l'Océan indien, qui, au début du XIXe siècle, revient s'installer dans sa terre natale, qu'il a quitté enfant et orphelin : le domaine d'Escampobar, sur la presqu'île de Giens, à l'est de Toulon. Ayant caché une partie du butin qu'il doit normalement déclarer aux autorités portuaires, Peyrol s'installe dans une ferme qui fait aussi café, entouré d'un ancien révolutionnaire piteux et enragé, Scevola, et de deux femmes : Arlette, personnage féminin central, dont les parents ont été tués sous ses yeux pendant la sécession de Toulon, et Catherine, une vieille femme qui veille sur cette enfant aux yeux égarés.

Huit ans passent. Un jeune officier maritime du premier empire commençant, Réal, loge à Escampobar. Dans le même temps, une intrigante corvette anglaise reste à l'ancre près du cap. Parfois, son canon tonne...

C'est un roman d'ambiance, l'action arrivant plutôt dans la dernière partie du roman. Ce qui est frappant, c'est la grande précision topographique de Conrad : on imagine fort bien les lieux, la configuration de la presqu'île, sans y avoir mis les pieds. Comme souvent, la narration décrit en grand détail le jeu des physionomies, étire parfois certains moments pour au contraire en condenser d'autres. Les motivations des personnages n'apparaissent que peu à peu mais la manière elliptique dont ils les dévoilent sont d'une grande profondeur.

Peyrol reste une figure solaire, charismatique, de boucanier rougeaud, bourru et humain, que rien n'étonne. Le flashback sur son enfance lui confère une certaine profondeur. Les figures féminines sont ici assez aliénées - dans tous les sens du terme : Catherine ne se remet pas de son amour de jeunesse pour un prêtre, jamais assouvi, qui lui a donné une réputation telle qu'elle vit en recluse. Arlette évolue de l'état de somnambule à celui de passionnée furieuse (c'est elle qui apporte la plus grande violence).

Car oui, l'amour est là, et il suffit de voir la proximité phonétique des noms d'Arlette et Réal pour comprendre que Peyrol, vaguement amoureux malgré lui, se trouve vite dans une position inconfortable. Tous ces personnages refusent leurs sentiments, ou ne les confessent que contre leur gré. Tous, sauf Arlette.

Certains passages sont mémorables, comme le monologue-confession d'Arlette au prêtre, qui lui fait dépasser son expérience traumatique ; Peyrol retapant une tartane qui reste délaissée sur la plage depuis des années, car sa cabine est souillée de sang contre-révolutionnaire ; le récit de la réclusion d'un marin anglais dans la tartane ; la course en mer devant la corvette, qui commence par un orage à grands effets, puis file vers un dénouement dramatique d'une noirceur non négligeable. La conclusion, enfin, avec une conversation impliquant l'amiral Nelson.

L'ambiance, donc, les erreurs d'interprétation des personnages les uns sur les autres, la profondeur psychologique, mais aussi le respect pour l'action. Tous ces éléments, sans compter le dépaysement de voir Conrad aborder l'époque de la Révolution et de l'Empire, font l'originalité de ce roman.

Pourquoi pas plus ? Soit que je sois blasé, soit que j'aie raison, j'ai ressenti cette fois-ci une réflexion davantage tournée vers le drame intérieur (voire le mélodrame) qu'une réflexion sur la condition humaine en général.

Il y a en fait autre chose : Conrad se fait plaisir en situant son roman sur les bords de la Méditerranée, mer qu'il a toujours chanté, notamment dans son magnifique "Miroir de la mer".
zardoz6704
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le 29 mai 2013

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