Le Grand Cahier
7.9
Le Grand Cahier

livre de Agota Kristof (1986)

Deux frères jumeaux sont envoyés chez leur grand-mère maternelle pour échapper aux bombardements et à la disette qui frappe "la grande ville". (On imagine que les faits se passent en Hongrie pendant la Seconde Guerre mondiale". Leur Grand-mère, sèche, sale, cruelle, est surnommée "la sorcière" et mérite bien son nom. Acceptant à contrecœur l'arrivée de ces petits-fils qu'elle n'a jamais vu, "ces fils de chienne" elle leur mène la vie dure.

Mais Klaus et Lucas vont s'endurcir. Exercice d'endurcissement du corps puis de l'esprit, de jeûne, d'immobilité, pour "vaincre la douleur" et ne plus jamais avoir mal, les jumeaux vont faire preuve d'un mental infaillible et se consacrer eux-même à leur études. Leur exercice de composition constitue les chapitres de ce "grand cahier" qu'ils cachent comme un tésor dans le grenier : "l'arrivée chez grand-mère", "notre voisine et sa fille", "exercice de jeûne", chaque épisode est relaté dans ce carnet.

Tout est à la première personne du pluriel ce qui renforce l'idée que les deux enfants sont une seule et même personne. Ils parlent d'une même voix et ne supportent pas la séparation. Au fur et à mesure des exercices, ils vont s'affranchir des codes sociaux et définir eux même leur morale. Bientôt la situation va s'inverser et ils vont exercer un certain pouvoir de domination sur leur grand-mère...Le chantage devient un art qu'ils maîtrisent avec brio. "La pomme ne tombe pas loin du pommier" dira un gendarme.

Il n'a pas tort. Dangereux et parfois cruels, ils surpassent la sorcière. Mais la limite entre le bien et le mal est floue et ils se montrent aussi parfois plein d'empathie: ils aident leur voisine "bec de lièvre" et sa mère à survivre et restent au chevet de leur grand mère qui les a pourtant fait souffrir.

"Les mots qui définissent les sentiments sont très vagues ; il vaut mieux éviter leur emploi et s'en tenir à la description des objets, des êtres humains et de soi-même, c'est à dire la description fidèle des faits". Cette règle d'or d'écriture des jumeaux font que ce livre est d'une atmosphère et d'un ton sans égal, à la fois enfantin et cruel. Les jumeaux ne laissent rien transparaître de leur sentiments, ce qui les rends froids et insensibles. Certaines scènes sont très crues, d'autres très violentes et laissent le lecteur dans un désarroi le plus total face à l'indifférence affichée des deux enfants... On ne sait pas si on doit les plaindre ou les maudire, les aimer ou les craindre.

Une lecture qui dérange, un livre fort et impitoyable.
MiJa
8
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le 16 déc. 2013

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MiJa

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