Si ce livre commence comme étant une sorte de satire politique assez cinglante sur le fonctionnement de la politique française de l’époque où il a été écrit, il va vite partir sur une autre thématique beaucoup moins amusante : Les exécutions et la torture humaine au sein du Jardin des supplices. Sortir un livre au contenu aussi choquant ne passerait probablement pas inaperçu aujourd’hui mais le sortir en 1900, il fallait quand même oser.

J’imagine que sa sortie a du provoquer pas mal de remous à son époque, mais je n’ai pas réussi à mettre la main sur ne serait qu’un seul document en ligne qui retracerait l’existence d’une telle polémique.


Chose assez étonnant dans ce roman : Le personnage principal est souvent mis en retrait (ou complètement maltraité) par rapport au personnage de Clara dont il tombera rapidement sous son charme bien qu’elle soit totalement vérolée par le vice. En réalité, Clara, présentée comme personnage secondaire EST le personnage principal où toutes les thématiques (ou une grande partie) seront exploitées au travers de son attitude, ses propos, ses frasques, son comportement atypique et surtout, et avant tout, son sadisme et sa cruauté à voir souffrir les autres.


Clara est un personnage instable et fragile. N’y voyez ici aucune tentative de réhabilitation de ce personnage de la part d’Octave Mirbeau. Il nous la montre telle qu’elle est et n’est pas dans le jugement quant à sa personnalité et son attitude. Mais on ne peut quand même s’empêcher de se demander « Comment un tel degré de monstruosité chez une personne est possible ? »


Et, cerise sur le gâteau, Clara a CONSCIENCE de son état ! Elle se permet donc une salve de remarque cyniques et provocatrices par rapport à sa condition. Et en plus de ça, certaines de ses remarques ne sont clairement pas dénuées de bon sens. Mais le problème est qu’elle s’en sert pour faire du relativisme et a aucun moment je n’ai ressenti à un seul instant que ses remarques sur l’anti-colonialisme étaient des remarques de lucidité mais des remarques uniquement là pour qu’elle puisse excuser son comportement monstrueux.


Certains états, au nom d’une prétendue civilisation qu’ils apporteraient et qu’ils tentent d’inculquer sur d’autres territoires, en pensant y apporter le progrès et les lumières sont soutenus par beaucoup de gens du peuple dans cette action pseudo-civilisatrice alors que les soldats ne font que massacrer les personnes qui entraveraient leurs idéaux de façon absolument cruelle et inhumaine.


Et Clara se demande si l’on peut s’émanciper, s’affranchir, de cette cause collective et nationale et tout simplement laisser parler la cruauté et le sadisme en nous-même. Parce que, après tout, pourquoi faire preuve de cruauté à une échelle individuelle ne peut-il pas se mettre sur le même plan qu’un massacre collectif et soutenu par une bonne partie de la population qui y voit ici une bonne chose ?


J'ai du faire plusieurs pauses durant ma lecture vu comment certaines descriptions extrêmement détaillées d'exécutions m'ont provoqué un vif dégoût et des haut-le-cœur certains.

Le livre est très bien écrit et dépeint bien au travers du personnage le Clara le sadisme qui lui est inhérent et tout le livre est traversé par une tension fondamentale : La beauté de la nature face à l'abjection humaine.


Mais cette dichotomie un peu simpliste est à nuancer vu que l'être humain fait pourtant partie intégrante de cette nature , belle et extrêmement cruelle à la fois, et à laquelle il devrait se soumettre à ses lois afin qu'il puisse éclore, lui aussi, à son tour. Ce roman m'a glacé le sang. Lecture éprouvante mais nécessaire.

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le 4 mai 2022

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