Certainement la vie nous fait lire ce roman trop tôt. C’est peut-être d’ailleurs le malheur des cours de littérature. Les passionnés qui se nourrissent jeunes de cette étude le sont encore pour des raisons superficielles (et par superficielles j’entends le sens littéral : ce qui est tout de suite palpable, la forme, et les idées en surface, ce qui est loin d’être peu dans les chefs-d’œuvre).
Puis la vie nous a traversé, les évidences des relations humaines sont tombées et ont laissé derrière elles une mélancolie qui ne nous quittera plus : qu’on lui préfère l’insouciance ou non. Et elles font place désormais à une difficulté tout à coup surhumaine : les rapports affectifs, amoureux, se sont gorgés de toutes nos déceptions, nos illusions, mais aussi, nos défenses, nos certitudes, nos condamnations (pas toujours conscientes). Peut-être le déni en sauvé plusieurs, mais la lucidité pourchasse les autres qui se pensent maudits ou fautifs.
La vie nous a traversé et c’est maintenant des forteresses qui entourent les cœurs, et nous rendent trop souvent inaccessibles à soi comme aux autres. Les masques font merveilleusement le change, mais la solitude est vertigineuse. Heureux ceux que l’orgueil sauve !
Et pourtant, je ne connais pas un cœur qui ne veut détruire ces forteresses, qui ne se passionne comme au premier amour de percer l’armure, d’atteindre et de se laisser atteindre, dans un espoir incroyablement humain d’aimer et d’être aimé, pour ce que nous sommes. (Je m’en tiendrais ici à cette formule commune)
Aussi, quand tout à coup, on voit s’amasser des vertiges en nous et autour de nous, quand les angoisses font la part belle des sourires trop légers jetés en soirée -même avec les amis les plus intimes- où l’amour devient l’objet trop maîtrisé de conversations badines..,
lire à ce moment le Lys dans la Vallée, c’est se surprendre d’abord de la clairvoyance prodigieuse de Balzac sur les affres que jette le sentiment amoureux, morales, psychiques et physiques, surprendre ensuite et toujours de reconnaître en nous l’actualité de son analyse, d’avoir ressenti tel quel les contradictions intolérables qui jaillissent immanquablement, c’est aussi se surprendre de l’attention extrême, la finesse d’analyse que l’auteur maintient jusqu’au bout du roman sur le sentiment amoureux, sans jamais le faire tomber au rang du prétexte de drame romantique - comme on pourra le regretter dans de trop nombreuses œuvres, et à ce titre, les dernières lignes sont presque miraculeuses.

La sensibilité de Balzac est impressionnante. On se souvient forcément de la princesse de Cleves, et on aperçoit évidemment les amours de La Recherche.

Un bijou !

Œuvre splendide qui fait grandir des êtres déjà grands.

Loukoum
10
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le 3 juin 2023

Critique lue 30 fois

Loukoum

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