Le XIXème siècle a vu apparaître beaucoup de romans dont le but était d'illustrer des théories politiques. Souvent, cela n'empêche nullement d'avoir de fort belles œuvres, voire même des merveilles comme Les Misérables, Le Rouge et le Noir ou les Rougon-Macquart.
Avec ce Médecin de campagne, Balzac nous donne l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire en la matière.
Plantons gentiment le décor. Nous sommes en Chartreuse, la chaîne de montagne située juste au Nord de Grenoble. Un bonhomme, ancien officier de la Grande armée napoléonienne, arrive dans un village. Il recherche le médecin, Benassis. Un médecin qui va nous expliquer comment, arrivant douze ans plus tôt dans un village en perdition, il va, petit à petit, développer les capacités et faire croître le village, apportant la prospérité à ses habitants.
Face à un telle explication, on pense forcément au Regain de Giono. Mais le roman de Balzac est loin, mais vraiment très loin du chef d'oeuvre de l'auteur provençal. D'abord parce que Regain nous montre tout le processus qui abouti à cette renaissance. Dans Le Médecin de campagne, nous arrivons dans un village déjà très prospère, et Benassis nous raconte comment il a abouti à ce résultat.
Ainsi donc, le roman est principalement composé d'une suite d'interminables monologues. Benassis explique par le détail les principes qui ont guidé son action. Et nous voilà non seulement dans un roman dénué d'action, mais où des dizaines de pages de théories défilent devant nos yeux. Quasiment tout le roman est soumis à l'exposition de cette théorie.
Comprenons-nous bien. Ce n'est pas la théorie, en elle-même, qui importe. Ici, Balzac fait l'apologie de ce que l'on pourrait appeler un « capitalisme paternaliste » tel qu'il s'est longtemps pratiqué en France. Mais franchement, cela aurait pu être n'importe quoi, tant que c'est présenté comme cela, ça devient absolument indigeste.
Prenons un exemple plus précis. Le roman est divisé en cinq grandes parties. Dans la deuxième d'entre elles, les deux protagonistes, Benassis et l'officier, se promènent dans le village et rencontrent diverses personnes. Cela permet à Balzac de développer un peu pus les théories du médecin, qui explique ce qu'il a fait pour chacun des personnages. Mais ces multiples personnages secondaires qui peuplent le roman et qui auraient pu lui donner vie et émotion, ne deviennent que des ombres, caractérisés d'un trait de plume, et dont la seule fonction paraît être de chanter les louanges du médecin.
Balzac aboutit donc à un roman dénué d'émotion et dépourvu d'action, un roman sans enjeu puisque tout ce qui aurait pu être intéressant est passé.
Malgré cela, il reste une scène, environ 25 pages, vraiment intéressantes (et qui peuvent, fort heureusement, se lire comme une nouvelle indépendante).
Nous sommes dans la troisième partie, un peu après la moitié du roman. Benassis et l'officier espionne un ancien soldat napoléonien. Celui-ci raconte comment il a vécu l'épopée du Petit Caporal devenu empereur. Là, Balzac nous montre non pas l'histoire telle que nous la présenterait un historien professionnel. Non, ici, nous avons droit à la légende, la geste de Napoléon. L'histoire, racontée dans un style très oral (Balzac était très fort pour reprendre le langage oral, ouvrant la voie à Zola, qui sera le patron dans ce domaine), se moque royalement de tout réalisme historique. Napoléon est montré comme un envoyé du ciel, protégé par les puissances surnaturelles. Sous nos yeux se déploie la légende, plus intéressante que ce que fut la réalité du petit bonhomme, au demeurant (songeons à la fameuse citation de L'Homme qui tua Liberty Valance, de John Ford : ce passage l'illustre à merveille).
Ces 25 pages sont les seules vivantes dans le roman, les seules où l'on peut reconnaître la force d'écriture de l'auteur des Illusions perdues. Avant et après, c'est une morne plaine.


SanFelice
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le 21 févr. 2020

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