C’est à l’approche du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet que Pierre Perrin a eu l’idée de ce livre, idée qui au demeurant le travaillait depuis fort longtemps déjà.

C’est donc avec son épouse qu’il va à Paris « humer » les lieux comme il le dira joliment dans une interview, mais aussi parcourir les archives et les correspondances du peintre. Il s’intéresse en particulier à une certaine Virginie Binet, une femme qui a partagé un temps la vie du peintre et qui fut à la fois son modèle, sa muse et son amante. Cette femme, ce «Modèle oublié » , aura une importance déterminante dans l’évolution personnelle et artistique de Courbet.

On est avec ce livre aux confluences de l’histoire du milieu d’un 19° siècle bouillonnant, de portraits d’artistes de l’époque, de la création artistique et du récit romanesque. C’est avec une plume légère et habile que l’auteur nous convie à ce grand voyage et c’est passionnant. C’est passionnant parce que Pierre Perrin est aussi un formidable conteur.

C’est à Paris en 1839 que Gustave Courbet, qui a tout juste 20 ans, rencontre Virginie Binet, une dieppoise de 31 ans, sans doute par l’intermédiaire de Paul Ansout, une connaissance commune. Elle sera le grand amour de sa vie. Elle lui inspire « La liseuse endormie », une toile qui frappe par sa beauté très sensuelle et « Les amants dans la campagne – Sentiment du jeune âge », une œuvre magnifique aux tons sombres inspirés d’un Rembrandt ou Velasquez et où les visages semblent éclairés par un bonheur et une joie intérieure. Peut-être bien mes préférés du peintre…

Mais Courbet n’épousera jamais Virginie, déclarant même : « Je pense à me marier autant qu’à me pendre ! ».

Dans un extrait du livre, on lit :

« - Je t’ai entendu dire « ma reine » à Virginie, le taquine Champfleury ! Tu rallies les louis-philippards, Gustave ? Ah, que n’aurais-tu pas fait si le roi t’avait commandé son portrait ?

- Je n’ai ni roi ni maître, Jules. Je ne broute pas au râtelier de l’Etat, moi ! Je ne vis que pour la peinture, se défend l’artisan de luxe »

Nous est alors brossé un portrait un peu moins reluisant de l’artiste, celui d’un homme un peu égocentrique et surtout obsédé par la réussite.

Le 15 septembre 1847 naît Émile, le fils de Virginie et Gustave. Le peintre aime profondément cet enfant, pouvant passer des heures à jouer avec lui et à s’extasier de ses facéties. Pourtant il ne reconnaîtra jamais Émile, qui restera son fils caché, et sa propre famille ignorera longtemps son existence. Les conventions de l’époque ont rendu leur relation difficile, mais Courbet dira aussi « Je n’ai guère le temps de fonder un foyer, je suis bien trop occupé par ma peinture ! »

Virginie se sent bien seule et désespère de plus en plus. Elle n’apprécie guère les amis que Gustave reçoit de plus en plus fréquemment. Entre autres un certain Baudelaire, qu’elle déteste :

« Cet hiver-là, Gustave fait poser Baudelaire. Plus sobrement vêtu, le dandy a fait aussi raser sa toison romantique. C’est un homme au front dégarni de quinquagénaire (il a vingt-six ans) qui prend Émile à bout de bras. Il approche le petit de sa bouche et hume son crâne. Toujours trouble et tranchant à la fois, Charles confesse son horreur des enfants. Il élève « le chiot » au plafond et profère :

- C’est étonnant combien le diable a l’urine fraîche et sent parfois l’anis ! »

Du 22 au 25 février 1848 Paris s’embrase, c’est la 3° Révolution Française. C’est dans le creuset de ces années folles que Courbet peint ses chefs d’œuvres les plus connus.

Virginie, qui l’aura accompagné vers la gloire pendant dix ans, le quitte définitivement. Avec Émile, elle retourne à Dieppe où elle meurt en 1865. Émile, soutenu par Ansout, le témoin de la rencontre de ses parents, devient sculpteur sur ivoire. Il meurt à 24 ans d’une grave maladie respiratoire liée à l’inhalation de poudre d’ivoire.

« Je n’ai ni femme ni enfant…C’est ainsi que la société avale son monde »

Courbet prendra une part active lors de la Commune de Paris, en 1870/1871. Il adresse une pétition au nouveau gouvernement militaire afin de procéder au déboulonnage de la Colonne Vendôme. Elle fut finalement démolie sous l’acclamation des parisiens en mai 1871 et Courbet fut soupçonné d’en être l’instigateur. Son procès commence le 14 août à Versailles, en présence de quinze autres communards et deux membres du Comité central. Le 2 septembre, la sentence tombe et il est condamné à six mois de prison ferme et à 500 francs d'amende. Durant son séjour carcéral, il peint de nombreuses natures mortes, et laisse quelques croquis sur les familles de fédérés emprisonnées. En 1873 le nouveau président Mac Mahon prend la décision de reconstruire la Colonne Vendôme aux frais du peintre. La facture sélève à plus de 300.000 francs, somme qui représente deux fois la valeur marchande d'un de ses tableaux. Exilé en Suisse, Gustave Courbet meurt en 1877, la veille de la réception de la première traite à payer.

Certaines œuvres de Courbet ont eues un destin surprenant :

« Un enterrement à Ornans » (1849/1850) est un imposant tableau de plus de trois mètres sur six qui fit grand scandale lors de son exposition. Ce genre de format était réservé à l’époque aux fresques historiques ou religieuses. Or Courbet représente ici une scène d’enterrement très réaliste, en peignant les personnages tel qu’il les voyait. Ce crâne posé au bord de la fosse rappelant le Golgotha choque beaucoup aussi. Ses amis ne l’aime pas non plus et n’apprécient guère ces visages laids et hideux. Le peintre estimera plus tard avoir raté l’œuvre de sa vie :

« Cette peinture a été mal comprise. Si elle a été mal comprise, c’est qu’elle est ratée ».

« Le retour de conférence » (1862) fit lui aussi scandale. Dans cette satire rabelaisienne on voit sept prêtres, visiblement ivres, dont deux juchés sur un âne. C’est évidemment l’Eglise Catholique qui est visée ici, et à travers elle la princesse Eugénie. Le tableau original n’a jamais été retrouvé, sans doute acheté pour être ensuite détruit. Seul le croquis ayant servi de base de travail a été sauvé.

Et enfin surtout « L’homme blessé » (réalisé entre 1844 et 1854).

Adossé à un arbre, un homme, les yeux clos semble assoupi. Il tient dans sa main un morceau du manteau qui le recouvre. La tache de sang sur sa chemise, au niveau du cœur et l'épée à son côté, fait penser à un duel qui aurait mal tourné.

Dans une lettre à son ami Proudhon il écrit : « La vraie beauté ne se rencontre que dans la souffrance (…). Voilà pourquoi mon duelliste mourant est beau »

En scannant la toile, on s'est aperçu que trois tableaux se sont en fait succédé. On distingue une première œuvre de laquelle ne reste qu'une tête de femme. La seconde représentait deux amants, Gustave Courbet plus jeune, enlaçant de son bras gauche une femme qui pourrait bien être Virginie Binet, en 1844. La troisième est le chef-d’œuvre que l'on connaît: Courbet, blessé, adossé au pied d'un arbre.

DanielO
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le 21 oct. 2022

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