Le "Mythe de Sisyphe" de Camus est loin d'être convaincant, du moins pour moi. On me l'a vendu comme un très bon livre de philo, mais je lui trouve beaucoup de défauts (à mon goût).
Son style est trop recherchée pour rien. C'est un livre de philo, pas un roman. Il aurait pu garder ces élans stylistiques pour L'étranger.
Les quelques fois où il essaye d'écrire de façon claire, il multiplie les petites phrases disjointes (qui doivent être claires pour lui à l'instant où il les écrit, car il les vit et comprend les bonds associatifs qu'il fait, mais qui ne sont pas aussi évidentes à l'écrit) qui rendent la lecture désagréable, car ces phrases ne s'enchaînent pas vraiment comme une réflexion naturelle.
En philosophie j'attends des livres qu'ils soient épurés justement car ils doivent être compréhensibles et pour ne pas être trompé par des artifices littéraires. Donc j'ai pas aimé le livre déjà pour son écriture.
Ensuite, pour parler du fond, le concept d'absurde est tellement sur-utilisé qu'il en perd tout sens. Camus distribue l’étiquette d'absurde à tous vents – à Dom Juan, à l'acteur, au guerrier – sans jamais préciser les contours de cette absurdité omniprésente. Qu'est-ce qui, selon lui, n’est pas absurde ? Cette généralisation extrême vide le terme de sa substance, frisant le ridicule. Pour lui tout doit être absurde, et tout ce qui ne pas va dans le sens de son idée est forcément à jeter.
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Camus semble ignorer que certaines sciences, notamment les sciences exactes comme les mathématiques et la physique, dévoilent des lois universelles qui sont en elles-mêmes des formes d'Absolu, d'explications du réel par la raison. Ces disciplines offrent des explications (empiriques) à l'Univers. Ces disciplines seraient vaines ?
"Mais elles n'offrent aucune réponse à la question du sens de l'existence" : l'explication à l'existence doit forcément être d'origine transcendante ? On ne pourrait pas répondre au Pourquoi de notre existence par la nécessité causale, par exemple ?
Non, non. On ne peut pas répondre à cette question. On doit accepter l'absurde qui est la seule vérité absolue selon Camus semble-t-il.
Cette attitude je-m'en-foutiste face à ces questionnements est juste néfaste à toute recherche véritablement sérieuse en ontologie.
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Il y aussi le fait qu'il dénigre, d'une certaine façon, ses prédécesseurs, comme Husserl ou Kierkegaard, sans jamais véritablement démontrer la faillite de leur pensée. Il balaye tout de leurs raisonnements, en expliquant qu'ils tombent dans un "suicide philosophique"... car leurs réflexions les poussent à embrasser des explications à l'Univers (théistes ou non théistes)... et il n'apporte aucune critique constructive, argumentée, sur le FOND de leurs idées. Pourquoi cette catégorisation ? Parce qu'ils n'ont pas accepté l'absurde, alors qu'ils devraient, et le simple fait de ne pas l'accepter est suffisant pour les disqualifier dans son discours. Et il se permet de critiquer leurs travaux, car ils seraient trop compliqués (alors qu'il suffit de se former aux terminologies précises pour les comprendre), tout en inondant lui-même son livre sous une plume alambiquée (pour aucune autre raison que se faire citer). Comment peut-on laisser passer ça ?
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En ce qui concerne les références littéraires qu'il invoque, comme Goethe, Dostoïevski et Kafka : aucune de leurs œuvres ne cadre vraiment avec sa vision de l'absurde. Les personnages de Dostoïevski vont complètement à l'opposé de ce qu'est "l'homme absurde" ; typiquement celui dans Le Songe d'un homme ridicule ; ce dernier ne trouve pas la paix par l'acceptation de l'absurdité de sa condition, mais par l'adoption d'idées religieuses...
Même ce qui ne va pas dans le sens de son absurdisme doit forcément l'être au final. Il veut tout faire rentrer dans sa grille de lecture inopérante.
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Le choix de Sisyphe comme avatar de son idée est aussi curieux. Sisyphe, dans les mythes, endure son sort sans rébellion, ce qui contraste avec l'idée de révolte que Camus semble vouloir promouvoir. Prométhée aurait mieux collé. Mais bon, j'imagine qu'il devait être séduit par l'esthétique de l'homme qui pousse un rocher et qu'il a voulu absolument accoler l'absurde à ce personnage (comme avec absolument toutes ses références, au final) ?
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J'ai aussi envie d'ajouter que pour moi, la philosophie que propose Camus fait partie de ces philosophies un peu inutiles et insignifiantes... Elle pourrait ne pas exister, rien ne changerait. Notre somme de connaissances humaines ne serait pas retranchée d'un seul iota, - et nos systèmes moraux et sociaux n'en seraient pas davantages impactés. Ca n'a pas l'utilité d'un traité d'éthique, de philosophie du droit, d'ontologie, etc. qui augmente notre somme de connaissances humaines et/ou a un intérêt concret dans la société par l'élaboration de préceptes moraux, d'organisations sociales nouvelles, et qui a en ce sens un rôle dans l'Histoire.
Au final on dirait juste une espèce d'existentialisme (mais sans véritable travail ontologique) avec un costume de je-m'en-foutisme.
Je mets quand même 3/10 pour l'audace d'avoir pondu un livre pareil et d'avoir quand même eu du succès.