"Le Nexus du Docteur Erdmann" est un ouvrage particulièrement sympathique. Fruit de l'imagination de Nancy Kress, pour ma part inconnue au bataillon, ce petit ouvrage devient donc le deuxième tome de la nouvelle collection du Bélial' (maison d'édition que je ne saurais jamais assez conseillée, tant ses publications sont originales et éclairées, que ce soit du point de vue de ses romans, novellas ou son bimensel Bifrost). Une Heure Lumière, c'est le nom de ladite collection, et je crois qu'avec ce tome, encore plus qu'avec "Dragon" de Thomas Day (que j'ai critiqué juste avant), on s'approche encore plus de l'esprit que Le Bélial' vise alors. On nous promet de la sf, du fantastique, bref de l'imaginaire de qualité et ceci dans une forme intéressante: les novella. Drôle de format que cet espèce de truc faisant le grand écart entre roman et nouvelle, usant volontier de la chute chère au genre court, sans se cantonner à des récits nécessairement d'idées. Je suis, pour ma part, adepte à 100%.
Alors du voyage, il y en a avec le récit de Nancy Kress, mais pas tant que ça. L'histoire se déroule dans une charmante maison de retraite, aussi classique qu'elle pourrait l'être, avec son lot de commères, d'aigris et de petits vieux sympa et extrêmement intéressants. Le Dr Erdmann fait partie de cette dernière catégorie: riche d'une vie scientifique bien remplie, physicien de renom et vieillard tenant toujours à nouer sa cravate seul, Henry Erdmann va être l'épicentre d'un phénomène particulièrement intriguant: des sortes de "visions", d'"ondes de choc cérébrales", partagées avec pas mal de ses collègues. Le mystère n'en est que plus grand lorsque l'on suit ce court récit parallèle et ardu d'un mystérieux vaisseau approchant d'une entité tout aussi mystérieuse.
Nancy Kress a une plume singulière, mêlant petit jargon scientifique et une simplicité du propos déconcertante, œuvrant largement au bien de son histoire, qui pourrait pourtant bien vite ennuyer. Il n'en est rien: "Le Nexus du Docteur Erdmann" passe à une vitesse folle.
Là où "Dragon" s'illustrait dans la collection naissante par une noirceur et une cruauté absolues, se frottant à des thèmes nauséeux et s'en sortant particulièrement bien, "Le Nexus du Dr Erdman" va s'attaquer avec légèreté et une intelligence bienvenue à des propos bien plus science-fictionnesque. La maestria de l'auteur repose évidemment sur le fait que ce n'est ni chiant, ni incompréhensible, ni débile ou simple. C'est en fait un joli compromis entre bien des aspects de la science-fiction, savamment dosés et ressortis sans difficulté.
L'œuvre est mature, les personnages particulièrement charismatiques. on se prendra vite d'affection pour le Dr ou encore Carrie, et la forme courte n'enlève rien à la thématique vertigineuse de l'auteure, et particulièrement glissante. Sans trop en dire, Nancy Kress va tisser un récit mettant en perspective science, religion et une conscience qui bien vite jouera le rôle d'un pont. Mais approfondir le propos, primo ne servirait à rien tant le livre est joliment balancé, et vous gâcherait un peu le bal.
Tout n'est pas non plus miraculeux. On peut reprocher à Nancy Kress de répéter quelques techniques narratives, qui semblent parfois occuper de la place pour rien, le propos étant clair sans forcément rabâcher de nombreuses descriptions inutiles. De même, le récit parallèle dans l'espace, même s'il est évidemment obligatoire, se veut volontier alambiqué et compliqué. Si ceci est bien sûr calculé et voulu (et c'est par ailleurs très réussi), avouons que c'est parfois frustrant. Frustrant, mais nécessaire, donc.
Il y a donc dans cette novella beaucoup à prendre, et peu à enlever, ce qui m'amène à une conclusion particulièrement flatteuse quant à cette "nouvelle" collection du Belial'. Il est un peu tôt pour parler de tour de maître éditorial. Néanmoins, une certitude s'affiche clairement: si la collection se poursuit sur la même lancée, cela promet beaucoup de plaisir à ses lecteurs. De l'originalité, des styles assumés, de l'intelligence... Les deux premiers tomes ne laissent pas beaucoup de place à l'ambiguïté. On peut être rebuté par la violence et le pessimisme de "Dragon", ou encore par la fausse légèreté de "Le Nexus", mais personne ne peut véritablement douter de la qualité des deux récits qui s'assument et ne relèvent en rien de la facilité ou du fond-de-tiroir d'auteurs fétiches.
En attendant donc "Le Choix" de Paul McAuley et "Cookie Monster" de Vernor Vinge (prévus pour le 11 février), je me permets de conclure cette critique par ce seul mot:
Bravo.