S’il y a bien quelque chose d’appréciable chez Mishima, c’est la diversité de son œuvre ; qui comporte aussi bien des écrits s'attachants à évoquer les mœurs sensibles de la société japonaise de l’époque (l’Ecole de la Chair ou encore Le Marin rejeté par la Mer) que des productions plus « politiques », qui peuvent s’apparenter à des délires fascistes témoignant de la personnalité complexe et unique de l’écrivain. Depuis la publication de Confession d’un masque en 1949, il est un auteur lu et connu à travers tout le pays et ce, en dépit des scandales que peuvent génèrer ses œuvres.


Au beau milieu des années 1950, il s’attelle à la rédaction d’un récit présentant plusieurs caractéristiques propres au roman d’initiation et prenant pour base un triste fait divers survenu quelques années plus tôt, faisant écho à la récente situation de Notre Dame : l’incendie du Pavillon d’or à Kyoto par un jeune moine bouddhiste dont les motivations restent assez floues. Il n’en fallait pas plus pour que Mishima s’empare du sujet en décrivant la trajectoire et les errements psychologiques de ce « déséquilibré » qui vont le conduire à commettre l’irréparable ; le tout dans le contexte du Japon d’après-guerre, traumatisé à la fois par la défaite et le cataclysme nucléaire et qui, en plus de cela, se voit humilié par la présence de troupes américaines au respect douteux vis-à-vis des locaux. En toute logique, cette situation mis à mal la fierté de tout un pays et peut être perçue comme le point de départ d’une nouvelle société caractérisée par une certaine modernité, s’implantant au détriment du « vieux monde » traditionnaliste auquel l’auteur restera attaché toute sa vie. Un attachement qui, d’une certaine façon, conduira à sa perte.


Ainsi nous suivons le parcours de Mizoguchi, jeune bègue au caractère introverti et au physique peu facile, dont le père est prêtre bouddhiste. Ce dernier a transmis à son fils son amour démesuré et déraisonné pour le Pavillon d'or qui, en plus d’être un espace religieux important, constitue un site touristique célèbre de Kyoto (un des « trésors nationaux » du Japon). Peu après son décès, Mizoguchi réalise son rêve et celui de son père : entrer en tant que novice (bronze) au temple dans le but d’en devenir, un jour, le prêtre (ou prieur). Dès lors, il peut contempler au quotidien ce lieu qui représente, à ses yeux, le summum de la beauté sur terre. Néanmoins, au gré de multiples rencontres et déconvenues, cette fascination se transforma en obsession. Une obsession malsaine et dangereuse poussant, peu à peu, le jeune novice dans une certaine dépravation ; il se met à rendre l’édifice responsable de ses malheurs et abhorre la beauté inhérente à celui-ci par opposition à sa propre laideur – aussi bien physique que morale. De ce fait, rien d’inattendu à le voir commettre, au comble de sa paranoïa, l’acte insensé qui fera sa renommée.


Le désir, la mort, l’érotisme, la beauté… tous les thèmes et grandes problématiques chères à Mishima sont présentes et traitées avec la finesse qu’on lui connait dans un style, comme toujours, empreint de poésie, de métaphores et surtout, de justesse – le moindre mot est recherché et à sa place, à l’instar d’un Kawabata. De nouveau, son sens de l’esthétisme est mis à l’honneur ; en témoigne les nombreuses descriptions relatives à l’atmosphère, à la nature et surtout, aux lieux : jamais la magnificence et la complexité du Pavillon d’or n’avaient été aussi bien retranscrits que dans ce récit. Par ailleurs, en dépit d’une analyse psychologique minutieuse et détaillée, à aucun moment l’écrivain ne laisse transparaître le moindre jugement, le moindre parti pris, vis-à-vis du personnage principal et ses actions : invitant ainsi le lecteur à se faire sa propre opinion sur cette pauvre âme tiraillée entre le bien et le mal.


Malgré le fait que le récit puisse paraître déconcertant aux premiers abords pour quiconque n’est pas familiarisé avec le style et les névroses – parfois agaçantes – de Mishima (la lecture de Confessions d’un masque est, à ce titre, recommandée), celui-ci s’impose comme une pièce incontournable dans l’œuvre de ce dernier. Rarement l’opposition entre beauté / laideur et soumission / domination ne fut aussi belle et bien romancée que ici.


La pensée que la beauté pût déjà exister quelque part à mon insu me causait invinciblement un sentiment de malaise et d'irritation ; car si effectivement elle existait en ce monde, c'était moi qui, par mon existence même, m'en trouvais exclu.

Xnophon
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le 8 oct. 2022

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Xénophon

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