La piété peut transformer ceux qui ont soif de pouvoir en véritables monstres

« Le Prieuré de l’Oranger » est un roman fantasy en un seul tome signé Samantha Shannon, largement encensé sur les réseaux depuis sa parution en 2019. Il m’a d’ailleurs été recommandé par une amie proche, bien consciente de ma lassitude face aux romans fantasy/young adult en vogue sur Booktok : vocabulaire limité, personnages creux, worldbuilding au rabais… A ce stade je ne suis plus frustrée, je suis carrément désespérée d’un bon roman dans le genre. Elle m’a donc proposé ce titre, censé me réconcilier avec la fantasy contemporaine. Et j’aurais voulu que ça fonctionne. J’ai essayé de tout mon cœur.


De fait, dès les premières pages, j’ai compris qu’on jouait dans une tout autre cour que les sagas telles qu’ACOTAR ou Shadow and Bone (mes dernières déconvenues littéraires). L’écriture était nettement plus soignée, presque brillante en comparaison, ce qui en dit long, hélas, sur le niveau général des titres mis en avant dans le genre. Car soyons honnêtes : Le Prieuré de l’Oranger propose certes une plume plus maîtrisée, des personnages presque convaincants, un univers relativement solide… mais il reste, pour moi, à bonne distance de ce que j’attends d’un grand roman (je le reconnais, je suis une lectrice difficile à combler).


Le vrai problème, à mes yeux, c’est la difficulté de trouver de la fantasy adulte qui tienne la route. Je cherche des textes qui ne tombent pas dans les travers du young adult, que je considère en réalité comme de la littérature jeunesse déguisée. Ce n’est pas qu’il n’existe pas de bons romans, mais ils sont noyés dans une masse de titres qui se revendiquent « adultes » alors qu’ils s’adressent de fait à un lectorat de 15-20 ans.


Avec une telle introduction, on pourrait croire que j’ai détesté ce livre. Et pourtant, non. Le Prieuré de l’Oranger m’a plutôt agréablement surprise. A mes yeux, l’autrice se démarque nettement de ses contemporaines sur plusieurs points. D’abord, par son concept, qui sans être révolutionnaire, tient la route. Elle insuffle à un schéma de fantasy très classique, une dose bienvenue de féminisme et de représentation LGBT. Ensuite, son écriture est soignée et tout à fait correcte, et son worldbuilding est loin d’être négligé.


L’autrice présente son roman comme une réécriture féministe de la légende de Saint George et le dragon. Dans un monde divisé entre Est et Ouest, une ancienne menace (le Sans-Nom : un redoutable dragon cracheur de feu vaincu il y a mille ans) est sur le point de se réveiller. A l’Ouest, on vénère la « Vertu » et on haït les dragons. A l’Est, on honore les dragons d’eau, bien différents de ceux de feu. Le Sud quant à lui est « hérétique » pour les deux camps : on y déteste les dragons, mais on n’y reconnaît pas la Vertu pour autant. Le récit alterne entre cinq personnages principaux : Sabran, une reine occidentale ; Ead, une magicienne du Sud ; Tané, une apprentie dragonnière de l’Est, Niclays, un alchimiste banni et Lord Arteloth, un chevalier sans trop de personnalité. Chacun, à sa manière, participe à la lutte contre une menace qui exige, pour être vaincue, une union entre des peuples divisés.


C’est un pavé d’un bon millier de pages qui se lit avec aisance et je dirais presque plaisir. Non ce n’est pas un roman qui me marquera à vie. Je ne pense pas le relire un jour. Mais il a été divertissant.


Ce qui pour moi l’empêche de franchir le cap du très bon roman ?


D’abord, les personnages : un peu trop lisses, un peu trop archétypaux, pas tout à fait « incarnés ». Leurs relations manquent de profondeur, de nuance. J’ai eu du mal à faire abstraction de la plume derrière les personnages. Les dialogues en particulier m’ont semblé plats, peu naturels, rarement percutants.


Ensuite l’intrigue : malgré sa longueur, elle multiplie les facilités narratives. Les tensions sont désamorcées trop rapidement, sans aucune vraisemblance ni complexité. Les dragons promis sont en réalité très peu mis en avant. Et les intrigues politiques qu’on espérait denses et captivantes s’avèrent finalement banales et prévisibles. Beaucoup de lecteurs, et j’en fais partie, ont reproché au roman d’avoir sacrifié son final, beaucoup trop rapide au regard de l’ampleur de l’intrigue développée sur mille pages. Quelques chapitres supplémentaires n’auraient fait peur à personne et auraient permis d’éviter ce goût d’inachevé et de bâclé.


Donc si sur le papier on nous promet : des dragons, des femmes fortes, un univers soigné, des relations LGBT… la réalité est un peu plus décevante.


Ce qui manque le plus à mes yeux, c’est la profondeur psychologique. Il aurait fallu de vrais personnages réalistes « vivants », des dilemmes moraux pour donner du poids à leurs aventures. Il aurait fallu des tensions internes, des conflits de loyauté, des sacrifices réels. On sent parfois que des idées affleurent, mais elles ne sont jamais creusées. Tout reste en surface. Il y a beaucoup de bons éléments dans ce roman, mais rien n’est jamais exploité.


En conclusion, Le Prieuré de l’Oranger se distingue de la masse des romans fantasy/YA actuels par une certaine ambition et un soin apporté à l’univers. Mais malgré ses qualités, il reste pour moi un roman inabouti qui manque cruellement de substance.

Sashenkaa
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le 14 juil. 2025

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