Un roman court, mais d’une intensité remarquable, qui m'a emportée au cœur de l’exil de Victor Hugo sur l’île de Jersey en 1853. Loin du monument national figé dans la gloire, l'auteur dresse le portrait d’un homme hanté par la perte de sa fille Léopoldine, disparue dix ans plus tôt. Cette blessure intime, jamais refermée, traverse tout le récit et donne à ce Victor Hugo une humanité bouleversante.
Au sein de la communauté des proscrits républicains, Hugo apparaît tour à tour grandiloquent, fragile, colérique, parfois déroutant. L’auteur restitue un personnage vibrant, traversé de fureurs mystiques, de fulgurances poétiques, mais aussi d’égarements. À travers la défense d’Hubert, accusé de trahison et menacé de mort, se rejoue en filigrane le propre rapport de l’écrivain à la faute, à la rédemption et à la justice. Cette intrigue dramatique vient ancrer le texte dans une tension politique et morale qui se mêle aux tourments intérieurs du poète.
La narration, morcelée et fiévreuse, épouse le tumulte mental d’Hugo : visions, dialogues réels ou imaginaires, séances de spiritisme, imprécations contre Dieu et réminiscences amoureuses se succèdent. Salim Bachi choisit une écriture flamboyante, souvent incantatoire, qui magnifie la grandeur du personnage tout en l’exposant dans sa fragilité la plus crue. Je retrouve un Hugo halluciné, oscillant entre ridicule et sublime, entre dérision et douleur.
Ce huis clos à ciel ouvert, battu par les vents et les colères de l’océan, devient pour moi le miroir d’un homme en lutte avec ses fantômes et ses contradictions. Sans céder à l’idéalisation, voici un portrait habité, déroutant parfois par son excès, mais toujours vibrant. Le Rocher des proscrits n’est pas seulement un roman historique à mes yeux : c’est une plongée dans l’abîme intérieur d’un génie blessé, où l’exil me paraît devenir le lieu ultime de vérité.