Le roi en jaune fait partie des livres que j'ai découvert grâce à la brigade du livre, une chaîne youtube tenue par un mordu de littérature, que je vous recommande au passage. Pour être parfaitement honnête, c'est la présentation de ce livre par cette même chaîne qui m'avait donné envie de le lire : il y était question d'intrigues fantastiques tournant autour d'une pièce de théâtre rendant fou ceux qui la lisent. Seulement me l'a-t-elle un peu trop mise en valeur et la déception que j'y ai trouvé va me permettre d'introduire une critique sur l'art délicat du recueil de nouvelles.


1- le pari du roi en jaune


Car penser qu'un recueil de nouvelles n'est qu'un amas d'histoires courtes est une aberration, les recueils ayant tous un thème central. Que ce soit les meurtres pour des auteur comme Roland Dahl ou le fantastique sur fond d'horreur pour Lovecraft, toute la subtilité de ce genre réside dans la capacité de l'écrivain à varier sur un thème central, sans pour autant se répéter.


Vous l'aurez comprit, l'exercice est déjà difficile en soit. Mais mr. Chambers fait un pari plus fou encore: plutôt que de prendre une thématique qui soit suffisamment large pour que toutes les histoires puissent s'y intégrer, il a décidé de matérialiser ce thème directement dans ses récits. Ainsi "le roi en jaune" est-il une pièce de théâtre, d'un auteur anonyme et que les personnages des nouvelles vont être amenés à lire à un moment ou à un autre. D'après la description faite par l'un d'eux, "quelque chose" se passe à l'acte II, quelque chose qui ne s'est jamais vu dans la littérature et qui est d'une extraordinaire beauté. Une beauté littéralement insoutenable: ceux qui vont jusque là deviennent fous.


2- les qualités du receuil: le jeu permanent sur nos repères


Par le fait d'avoir matérialisé son thème, Chambers se permet ainsi de jouer sur un classique de la littérature : l'hésitation qu'il nous fait ressentir quant à la santé mentale de ses personnages. Car chacune des nouvelles voit l'irruption dans leurs vies d'éléments incroyables, survenant après la lecture de la fameuse pièce; mais puisque celle-ci rend fou, est-ce qu'ils voient réellement ce qu'ils voient, ou est-ce qu'ils ne font que l'imaginer?


Cette hésitation nous fait bien sûr accrocher tout de suite, car l'on est à l'affut du moindre indice permettant de pencher pour une interprétation plutôt qu'une autre. L'auteur ne tranchant jamais totalement, le sentiment de mystère qui s'en dégage est agréable à souhait. Mais il y a mieux, car l'une des nouvelles nous fait clairement comprendre qu'il se pourrait bien que le royaume du roi en jaune, décrit par bribes tout au long des nouvelles, pourrait réellement exister. Chaque nouvelle faisant avancer un peu plus une intrigue commune à toutes, on sent qu'il va se passer quelque chose de terrible. La tension monte de plus en plus, et nos interrogations aussi. Qu'est-ce que c'est que cette pièce? Rend-t-elle simplement fou, ou y-a-t-il autre chose? Ne serait-ce pas plutôt la réalité qui est modifiée par sa lecture, ou donnerait-elle la capacité de voir ce qui est invisible aux autres mortels? Qui en protège les secrets et qui en est l'auteur? Toutes ces questions n'auront absolument aucune réponse.


3-les défauts: de l'art de ne pas assumer que l'on a plus d'idées


Car sur les dix nouvelles que comptent le roi en jaune, seule quatre parlent de la pièce. Une cinquième est une sorte d'extrait, des fragments que l'on suppose de la pièce, parfois poétiques, mais que l'on ne garde en tête que pour ce qu'ils peuvent nous aider à résoudre l'intrigue. Or ils ne servent à rien. Au-delà d'un certain point, le recueil oublie complétement son thème pour s'enfoncer dans des histoires parfaitement secondaires, narrant les aventures d'étudiants américains habitant à Paris. Plus aucune allusion n'est faite au roi en jaune, et si la dimension fantastique se retrouve encore sur l'une d'entre elles, cette dimension là aussi finit par disparaitre.


C'est d'autant plus abrupte que l'écriture, qui faisait le travail lorsque l'intrigue tournait autour du mystère de la pièce, nous apparaît à présent dans toute sa lourdeur. Trop descriptive, elle nous décrit par le menu détail chaque bouquet de fleur que l'américain achète pour sa promise, chaque négociation autour d'un crayon, chaque tâche de café sur la nappe d'un bistrot. On y sent évidemment un hommage à la littérature française. Mais il y a un temps pour tout et à mesure que l'on s'éloigne de la pièce de théâtre, on décroche de plus en plus. J'ai sincèrement l'impression qu'il n'y avait que trois ou quatre nouvelles originales, et que puisqu'il était inconcevable de faire un recueil qui en contiendrait moins de dix, l'auteur a dû se forcer pour en rajouter d'avantage, quittes à faire du remplissage. J'ai eu du mal à le terminer, à peu près autant que j'ai adoré le commencer.


4-Conclusion


"Le roi en jaune" est comme un immense sac de bonbons, qu'un escroc aurait remplit aux trois-quarts de cailloux. Certes, ce qu'il y reste de douceurs est délicieux, mais on avait acheté le sac comme s'il ne contenait que ça. J'ai refermé ce recueil avec un sentiment de manque, parce que ce que nous a fait miroiter Chambers était énorme, et s'est dégonflé comme un ballon de baudruche sans aucune explication. Dommage.

Pulsar
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le 11 oct. 2016

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