Peut-être la pièce la plus aboutie de William Shakespeare. Ce qui est fascinant, chez le dramaturge britannique, c’est son extrême modernité, discernable dans toutes les oeuvres que j’ai pu lire de lui. Shakespeare est un formidable « mélangeur » si j’ose dire : il mélange thème universel avec thèmes politiques et visionnaire tout comme il combine la tragédie au burlesque ou à l’absurde. Le Roi Lear, c’est un peu de tout ça, un mixage explosif et terriblement efficace. Car sous fond de manipulations politiques (un des thèmes préférés de Shakespeare, notamment dans le magnifique Richard III), Le Roi Lear nous offre une belle réflexion sur l’envie d’être aimé, sur la jalousie, sur l’amour filial et sur sa représentation. L’intrigue de Lear, tout comme l’intrigue d’Edmond, s’appuient sur une déception ou une jalousie. La déception est le fil conducteur de l’histoire de Lear et sa folie de plus en plus forte, et la jalousie est la cause du désir d’accéder au pouvoir concernant Edmond, lui qui est le fils le moins aimé par son père.
J’ai personnellement été plus touché par l’intrigue principale, à savoir celle de Lear, d’autant plus que j’aime énormément la représentation artistique de la folie (chez Werner Herzog principalement). La folie de Lear, même si différente, me rappelle un peu la folie de Caligula (dans la pièce de Camus, du même nom) dans le sens où c’est cette folie qui lui permet d’accéder finalement à une forme de lucidité existentielle, et c’est assez puissant je trouve, une sorte de « folie lucide ». Shakespeare est un auteur profondément existentiel, et que je trouve parfois très pré-romantique dans le fond. Lear est au final un personnage assez touchant, un personnage contre lequel nous sommes souvent en colère (et ce dés le début, lorsqu’il bannit Cordélia), mais dont le malheur finit par devenir touchant. J’aime beaucoup lorsqu’il dit « Dés que nous naissons, nous pleurons d’être venus sur ce théâtre de fous ». Est-ce Lear qui est véritablement fou ? Là est le problème du fou finalement.
La relation entre Lear et le Fou, quant à elle, elle très drôle, très burlesque, et même très absurde, ce sont souvent des séquences savoureuses, qui me rappellent les séquences entre les assassins dans Richard III, elles aussi empreintes de du burlesque et d’une forme d’absurdité. Les répliques sont délicieuses et jubilatoires. Ce que j’ai le plus aimé, c’est lorsque Le Fou dit « Quiconque à une maison où fourrer sa tête à un bon couvre-chef. » Au fond, c’est plein de bon sens, mais tellement décalé que c’est très drôle, et Shakespeare maîtrise profondément ce « décalage. »
Les soucis politiques, quant à eux, sont extrêmement modernes, comme dans la plupart des pièces de Shakespeare, pratiquement toutes tournées vers la question de l’essor politique. Cela est très moderne, car les méthodes restent les mêmes, 450 ans après. Edmond, comme Gloucester dans Richard III, est un véritable Staline, qui monte les uns contre les autres et qui manient le mensonge d’une main de maître, le mensonge devient un véritable art. « Les jeunes s’élèvent quand les vieux tombent », et c’est exactement ce vers quoi nous tendons, je pense.
Une pièce extraordinaire.