Au sortir de l'époustouflant prologue du Septième voile, chef d'œuvre de Juan Manuel de Prada, on se dit, déjà, qu'il est préférable de respirer un coup avant de se lancer, en apnée, dans les quelques six cent pages de cette fresque épique. Bonne intuition : on ne ressort pas indemne d'un roman aussi riche, complexe et profondément humain.

Sur le lit de mort de sa mère, Julio Ballesteros apprend que son père n'est pas l'homme qui l'a élevé mais un héros français de la résistance, Jules Tillon. Il décide alors de partir sur ses traces (et sur celles de ses origines, de fils comme d'espagnol). Mais la guerre a rendu son père amnésique : s'ouvrent les ingénieux dédales labyrinthiques d'un récit à rebours nous emmenant de l'Espagne franquiste, aux réseaux de la résistance française en passant par l'Argentine contemporaine, dédales constamment secouées par les bourrasques de ce grand vent qu'on appelle l'Histoire.

Du haut de ses trente huit ans, Prada aurait parcouru « des centaines d'ouvrages » pendant cinq ans pour nourrir son colossal récit. Qu'on ne s'y trompe pas, pourtant : si le matériau historique est bien au centre de ce Septième voile, l'Histoire est ici traitée à taille humaine, elle est la petite de quelques hommes au milieu de la grande des idées ; « une mort en soi est une tragédie, un million de morts est de la statistique. » Ainsi, de l'usine Renault de Boulogne-Billancourt aux bouges sordides de Madrid, l'auteur fait la part belle aux idéaux politiques de l'époque pour renvoyer doctrines fascistes et communistes dos à dos. Chez Prada, tout manichéisme est proscrit.

L'humanité, elle, est en déroute, comme semblent nous le dire ces personnages perdus qui reproduisent malgré eux des schémas destructeurs et creusent souvent, de toute bonne foi, leurs propres tombeaux. Le septième voile, celui des apparences ne se dissipera qu'avec le temps. A mesure que le père de Jules recouvre la mémoire, son statut bien fragile de héros de la résistance française vole en éclat devant le poids de la culpabilité. Si la mémoire est une condition au pardon, elle ne délivre que les âmes pures. Celles tourmentées de Prada n'en seront que plus gravement meurtries. La nôtre, assurément, n'oubliera pas de sitôt ce bijou castillan.
bilouaustria
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Années 2000 : les livres et Les meilleurs livres espagnols

Créée

le 13 nov. 2010

Critique lue 623 fois

bilouaustria

Écrit par

Critique lue 623 fois

D'autres avis sur Le Septième Voile

Le Septième Voile
pikkendorff
3

Une écriture âpre, sans formule choc, racle, telle un soc, les paradoxes de nos vies, de nos morts.

Une écriture âpre, sans formule choc, racle, telle un soc, les paradoxes de nos vies, de nos morts. Après de 2 heures de lecture, nous voilà à présent de retour dans ce passé si présent qu’il a tué...

le 22 sept. 2012

Le Septième Voile
bilouaustria
7

Critique de Le Septième Voile par bilouaustria

Au sortir de l'époustouflant prologue du Septième voile, chef d'œuvre de Juan Manuel de Prada, on se dit, déjà, qu'il est préférable de respirer un coup avant de se lancer, en apnée, dans les...

le 13 nov. 2010

Du même critique

Somewhere
bilouaustria
6

"Less than zero"

La drogue en moins, "Somewhere" pourrait être une adaptation assez fidèle du célèbre premier roman de Breat Easton Ellis écrit dans les 80´s, "Less than zero". Los Angeles, du fric partout, des...

le 3 nov. 2010

55 j'aime

17

La Femme du Sable
bilouaustria
8

Dunes

Sisyphe, oui bien sûr. Mais ce qui compte surtout chez Teshigahara, c'est la dimension mythologique, qui apparaissait déjà dans "Traquenard" (1962) deux ans plus tôt. Un homme et une femme au pied...

le 16 févr. 2013

47 j'aime

3

Amour
bilouaustria
9

Je me souviens

"Szerelem" est un chef d'oeuvre oublié qui pourrait avoir été réalisé par Bergman et monté par Resnais. En effet les plans courts comme des apparitions, et leurs récurrences sortent tout droit de...

le 5 mars 2013

42 j'aime

10