Alejo Carpentier, né à Cuba, découvre la France en 1928 alors qu'il était convié par Robert Desnos, rencontré à La Havane. Ce séjour durera des années.Amateur d'histoire, auteur de talent, Carpentier étudie la Révolution Française avec rigueur, et livre dans cet ouvrage, d'abord un roman, mais aussi une analyse d'un pan peu connu de cet évènement, la Révolution dans les Antilles.Son personnage principal, Victor Hugues, fut le véritable bras de la Révolution dans ces îles lointaines. De lui on sait peu de choses, ainsi se prête t'il bien au jeu romanesque. Cependant il semblait incarner l'homme même de ces temps rigides, de bouleversement paradoxaux, entre idéaux humanistes et terreurs.Hugues est un bon disciple de Robespierre, il croit en l'Homme et plus en un Dieu, il apporte dans les cales de son navire voguant vers la Guadeloupe les deux atouts de la révolution: la guillotine, et le décret du 16 Pluviose de l'an II, abolissant l'esclavage.Mais la force de ce récit est de nous montrer les contradictions du système, lorsque la bureaucratie pense et agit à ta place...L'homme même qui, en sujet libre, mue par la force de sa foi en l'humanité, apportait la liberté, rapporte en Guyane, quelques années plus tard, devenu agent de Bonaparte, le décret du 30 Floréal de l'an X, qui rétablit l'esclavage.
Comme dans "Le royaume de ce monde", Carpentier relate le drame de ces Noirs, libérés par un décret qu'en annule un autre, et l'on comprend que ce n'est pas un hasard géographique si l'auteur choisit ce coin isolé du monde pour montrer le paroxysme que peut atteindre la folie des hommes, pris dans l'engrenage de la machine politque, et les changement de Victor Hugues en sont le point d'orgue. Du héros passionné des premières pages, ne reste qu'un homme seul et désabusé, qui n'est même plus l'auteur de ses propres actions. En atteste l'éloignement de Sofia, autre héroïne du récit, et d' Esteban, d'abord jeune disciple de Hugues mais qui reste déçu par l'organisation déshumanisante de l'entreprise (si l'esclavage est interdit sur le sol guadeloupéen, les navires pris dans les mers Caraïbes contenant des esclaves peuvent être revendus aux marchands hollandais).Carpentier relate un danger intemporel, cette dépossession des actions, lorsque mise en marche par les meilleurs intentions, le système ne devient que l'objet d'une marche aveugle et autonome, prévoyant là l'échec de toutes les politiques autoritaires.
Emma Breton
madamedub
6
Écrit par

Créée

le 22 juil. 2011

Critique lue 792 fois

3 j'aime

madamedub

Écrit par

Critique lue 792 fois

3

D'autres avis sur Le Siècle des Lumières

Le Siècle des Lumières
madamedub
6

Critique de Le Siècle des Lumières par madamedub

Alejo Carpentier, né à Cuba, découvre la France en 1928 alors qu'il était convié par Robert Desnos, rencontré à La Havane. Ce séjour durera des années.Amateur d'histoire, auteur de talent, Carpentier...

le 22 juil. 2011

3 j'aime

Du même critique

Rien ne s'oppose à la nuit
madamedub
8

Critique de Rien ne s'oppose à la nuit par madamedub

Delphine de Vigan, que l'on avait pu rencontrer avec "Jours sans faim" ou le plus récent "No et moi" signe un nouveau roman, consacré à la vie de sa mère: "Rien ne s'oppose à la nuit", titre emprunté...

le 18 sept. 2011

27 j'aime

2

Le Mépris
madamedub
10

Critique de Le Mépris par madamedub

« Le mépris« , pour beaucoup de gens, c'est avant tout le célèbre film (1963) de J. L. Godard, avec Brigitte Bardot. Mais il s'agit avant tout du livre d'Alberto Moravia, auteur italien réputé entre...

le 4 mai 2012

13 j'aime

1

Sartoris
madamedub
10

Critique de Sartoris par madamedub

Dans l'Amérique du sud qui lui est familière, William Faulkner narre une nouvelle fois les thèmes qui lui sont chers: les grandes familles du Sud déchues par la guerre de Sécession, les communautés...

le 9 févr. 2012

9 j'aime

1