Après Nicolas Sarkozy (Sarko m’a tuer) et François Hollande (Un président ne devrait pas dire ça), il était naturel que Gérard Davet et Fabrice Lhomme s’intéressent à leur successeur : Emmanuel Macron. Au printemps 2017, le jeune ex-ministre de l’économie déboulait devant les électeurs à la tête d’un objet politique non-identifié : La République en Marche. Le candidat du « en-même temps » devenu président et contesté un an plus tard par les Gilets jaunes, les deux journalistes du Monde se mettaient en chasse pour mieux comprendre Macron et le macronisme.


Les auteurs se déclarent dès la préface frappés par le caractère « insaisissable » du président et de sa politique. Une énigme inédite dans leur carrière de journaliste politique. Chirac, Sarkozy et Hollande leur ont paru à tous deux parfaitement « cernables » aussi bien humainement que politiquement. Avec Macron, c’est autre chose et tout l’objectif du livre et de figer sur le papier les ombres qui dansent devant les yeux du public.


Pour avancer dans cette quête, Le Traître et le néant s’appuie sur la méthode désormais éprouvée par les deux complices. Une certaine conception du journalisme, sans doute influencée par la doctrine anglo-saxonne, qui se fonde sur une retranscription exacte des entretiens réalisés. Quitte à ce que le vocabulaire et la syntaxe en pâtissent, au point de rendre certains propos difficilement compréhensibles pour qui n’est pas dans la tête du témoin. Mais les guillemets sont sacrés. « Moi, j’ai un principe, il n’y a pas de off. », prévient aussitôt Philippe De Villiers lorsqu’il rencontre les deux journalistes. Cela tombe bien, pour eux non plus. Davet et Lhomme s’interdisent de citer entre guillemets une source dont ils ne peuvent pas donner l’identité. Lorsque la situation se présente, ils retranscrivent sa parole au style indirect libre. Une solution qui permet au lecteur de savoir à qui appartient la responsabilité du propos mais ne clôt pas le débat de l’intervention du journaliste entre la source et la société. Comme elle ne permet pas de mettre fin aux accusations d’irresponsabilité que Pierre Moscovici adresse à ses intervieweurs, accusation à laquelle ceux-ci opposent une réponse troublante : « pas irresponsables, mais journalistes tout simplement ».


Toujours est-il que cette méthode est suivie scrupuleusement pas les enquêteurs : des entretiens systématiquement enregistrés, une retranscription exacte, quelques éléments d’analyse au style indirect, des remises en contexte et des liens logiques introduits par les journalistes. Le livre suit par ailleurs un plan extrêmement schématique. Il est composé de deux parties, suivant le titre : « Le traître » qui retrace l’ascension politique d’Emmanuel Macron ; « Le néant » qui revient sur les 4 premières années de sa présidence. A l’intérieur de ses deux parties, chaque chapitre est introduit par un portrait enrichi de témoignages du sujet, avant de revenir sur un évènement marquant de l’histoire du président. Quel que soit l’épisode, un fil rouge : l’extraordinaire capacité de séduction d’Emmanuel Macron. Une caractéristique si souvent soulevée par les témoins que l’ouvrage peut donner l’impression de tourner en rond. Les auteurs eux-mêmes le remarqueront, qui écriront à la fin de leur enquête avoir eu l’impression de poursuivre des fantômes.


Cette poursuite commence auprès de ceux qui furent les mentors du jeune homme extrêmement brillant qu’était Macron : Jacques Attali et Alain Minc. On notera d’ailleurs que la métaphore d’un Attali-Gepetto dirigeant un Macron-Pinnochio, qui choquera beaucoup lors de sa peinture sur une façade, figure dans l’ouvrage. La présence de Minc et Attali aux côtés du prodige confirment une fois de plus sa plasticité intellectuelle. Les éminences grises du sarkozysme et du miterrandisme ont parlé chacune à une oreille du futur président. On retrouve la même dualité lors de la naissance d’En Marche, porté sur les fonds baptismaux par deux « bandes parallèles » : celle de la rue de la Planche à Paris, constituée en grande partie d’anciens strauss-kahniens : Benjamin Griveaux, Cédric O, Adrien Taquet, Ismaël Emelien, et celle de l’Université de Poitiers mené par les fondateurs des Jeunes avec Macron, Sacha Houlié et Pierre Person.


Pour le grand public, tout a peut-être commencé au mois d’août 2016, lorsque Macron assénait avec une stupéfiante audace, lors d’une visite au Puy du Fou : « L’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste. ». En une phrase, il rejettait sa responsabilité de tout ce qui avait été réalisé lors du quinquennat de François Hollande et apparaissait aussi neuf qu’il paraissait l’être lors de son entrée au gouvernement en 2014. Les témoignages des fidèles de François Hollande imputent la non-candidature du président sortant à la trahison de son poulain. C’est oublier à quel niveau de popularité se trouvait alors Hollande. Même en conservant la fidélité de Macron, Hollande aurait-il pu prétendre un renouvellement de son mandat dans un tel climat de défiance ? A la vérité, lorsqu’il annonce sa décision de ne pas se représenter le 1er décembre, peu de gens imaginent qu’Emmanuel Macron prendra sa place. C’est sûr, le nouveau président sera issu des Républicains. Les socialistes ne pourront rien opposer au phénomène classique de l’alternance à laquelle chacun s’est habitué depuis les années 80.

De ce fait, il est regrettable que les auteurs ne consacrent qu’une ligne à la chute de François Fillon, pourtant favori jusqu’en février 2017. Pour comprendre l’ascension de Macron, la recomposition politique provoquée par la révélation de l’affaire de l’emploi fictif de Pénélope Fillon, mais aussi par celle l’affaire des costumes offerts par Robert Bourgi, me paraît essentielle. Sans ces affaires, toute l’habileté déployée par Emmanuel Macron pour gravir la montagne vers la présidence de la République n’aurait sans doute servi à rien, du moins jusqu’en 2017.

Le macronisme a su saisir cette opportunité, occupé un espace laissé vide dans la politique française. Pour cette raison, il est, selon les auteurs, l’autre nom de l’opportunisme. « Ni une doctrine, ni une idéologie », ce serait donc une méthode par ailleurs indissociable de son inspirateur. Il est à ce titre étonnant que de nombreux témoins (Cohn-Bendit, Valls, Person) soient si sévères avec les macronistes et si peu avec Macron, tant les deux semblent étroitement liés. Quelles que soient les désillusions de ses proches, il semble toujours conserver le même pouvoir de fascination. Aurore Bergé est la seule source du livre qui parvient à définir son camp politiquement. Elle reconnaît au macronisme une confiance dans l’Europe, un libéralisme social, un libéralisme économique et « une clarté sur les questions régaliennes » nettement inspirée par la droite. Pour ceux qui, bien qu’embarrassés pour définir La République en Marche, restent indulgents à son égard, elle est le seul parti susceptible d’occuper le vide politique laissé en 2017. Un mouvement jeune qui doit se construire idéologiquement au cours même de l’exercice du pouvoir. En définitive, le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme montre qu’étudier le macronisme permet de manier sans fin les paradoxes.

Tsi-Na-Pah
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le 15 oct. 2023

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