Combattre le capitalisme avec des arcs-en-ciel

Lionel Astruc propose un "récit activiste" dont l'ambition n'est pas inintéressante : raconter l'histoire de quelques personnes dont les idées et les choix de vies lui permettent de montrer une multitude d'actions et d'organisation "alternatives", qu'il a rencontré durant 2 ans lors d'un tour de France des écolieux.

Le problème, c'est que ses personnages et tout le propos du livre est d'un tel niveau de simplicité et de naïveté qu'il est difficile de ne pas être gêné pour l'auteur. A-t-il voulu montrer cette naïveté, qui existe vraiment chez certains activistes, tout en soulignant leur engagement sincère et souvent (en suivant l'auteur) fertile ? Est-il, au contraire, lui-même convaincu de ce qu'il fait dire à ses personnages ?

Il faut se rendre compte que le niveau de réflexion qui est décrit coche toutes les cases des clichés du milieu écolo. Le personnage principal, Waldo, a régulièrement des fièvres glavanisantes qui emportent ses camarades, alors qu'il balance les plus gros poncifs à base de "la société de consommation nous rend débile"*, "l'argent et la technologies sont à bannir", "il faut se reconnecter à la nature", etc. De nombreux éléments ésotériques, à commencer par la légende des guerriers arc-en-ciel (d'où le titre des sept cabanes comme les couleurs), parsèment le récit, bien qu'ils soient parfois, mais jamais clairement, soulignés comme tels. Il est important de faire remarquer que le livre est publié chez Actes Sud, dans la collection Domaine du possibles : un éditeur qui a fait de l'écologie non-politique une spécialité, mélangeant tout dans son catalogue.

Un autre élément difficile à cerner, sont les différents projets que créent les "héros " du livre. On comprend, au bout d'un moment, qu'ils servent à dresser un inventaires des écolieux existants, dans un objectif d'encouragement optimiste ("il existe des solutions dans les milieux marginaux") mais restent tout du long absolument pas décrit dans leur complexités. On ne sait pas d'où les membres tirent leurs connaissances, comment ils vont chercher des alliés (outre le fait qu'ils ont plein d'"amis"), quels sont les difficultés, les limites et les critiques à faire de tous ces lieux. On a juste la liste des techniques et astuces du type four solaire et frigo africain, ainsi qu'une vague idée de l'organisation entre les gens. Quelques fois, les difficultés du quotidiens et la rudesse de la "simplicité volontaire" sont évoqués mais pour immédiatement les contrebalancer en soulignant la réputation du lieu ou sa grande efficacité.

L'accueil et le respect de tous est omniprésent, avec un passage navrant sur la façon dont les "fous" devraient être soignés, c'est à dire hors des hôpitaux, au contact de la société, pour montrer leur talents. Sans prétendre le moins du monde être compétant sur le sujet, j'en sais suffisamment pour savoir qu'il est au combien plus compliqué que ça.

Ceci-dit, la encore, un évènement mettant en scène un "pervers narcissique" qui fait quasiment imploser la communauté et surtout tente de poignarder Waldo fait douter du message de l'auteur. Est-ce une critique du modèle qu'il décrit ? Très peu probable, en tout cas bien maladroit.

Pour ce qui est de la critique politique, donc, on repassera. Rien n'est dit sur les raisons de proposer des alternatives à notre organisation sociale outre le fait que la planète est en danger à cause des humains. Tout porte à croire qu'il faut se concentrer sur ces expériences pour "espérer un futur meilleur, en marge du capitalisme", bien que celui-ci soit très flou.

Je suis personnellement peu attiré par ce type d'expériences, bien qu'elles me fascinent parfois et que je respecte les gens qui s'y investissent. Ils permettent d'expérimenter d'autres manières de s'organiser, ce qui est important pour nourrir la réflexion et les utopies politiques. Mais je suis convaincu que ça n'est pas suffisant : s'il y a une situation écologique catastrophique aujourd'hui, c'est en raison de l'organisation générale de l'humanité aujourd'hui, qui induit une multitude d'éléments très complexes à critiquer et modifier, voir supprimer. On ne changera pas les choses en choisissant de vivre à côté d'elles, alors même que ce n'est qu'une illusion : qu'on le veuille ou non, on vit dans une société capitaliste, qu'on soit conformiste ou marginale.

Au final, il est bien difficile de savoir qui trouvera son compte avec ce livre. Des jeunes qui voudraient découvrir facilement qu'il existe des voies alternatives ? Ou même des plus vieux ?

Les premiers auraient une bien mauvaise vision de l'engagement politique et les seconds seraient difficilement convaincus d'abandonner leur confort de vie au vu de la naïveté décrite dans ces pages. Dans tous les cas, vous l'aurez compris, c'est un livre suffisamment raté pour ne pas vous conseiller de le lire, même gratuitement à la bibli. Vous perdriez votre temps : allez plutôt voir ces lieux directement ou regardez des documentaires sur youtube, vous arriverez à trouver plus de vérité et de nuances que dans ces 7 cabanes.

* Les citations sont approximatives, j'avoue avoir eu la flemme de les noter précisément.

Zarlox
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le 8 oct. 2023

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