Les Années Fléaux est un recueil de nouvelles écrites par Norman Spinrad et publiée vers la fin des années 80. En exil en France depuis l’ère Reagan , Spinrad est sans doute le meilleur représentant encore en vie du genre de la science-fiction contestatrice - il est en tout cas l'un des derniers écrivains de sf occidental encore en vie à avoir été obligé de fuir son pays à cause de la subversion de ses textes. Un anti-conformiste de premier ordre à qui on doit , notamment , un livre que j'estime personnellement surcoté dans le milieu : Rêve de Fer , le fameux manuscrit de science-fiction qu'aurait pu écrire Adolf Hitler si au lieu de rester en Allemagne à la fin de la premiere guerre mondiale , celui ci s'était exilé aux States et y aurait entamé une carrière d'écrivain de science-fiction.
Les trois longues nouvelles de ce recueil ci tournent toutes les trois autour du thème de l'exclusion et , plus largement , de trois visions d'un futur que l'air du temps que le regain conservateur dans l'Amérique des années 80 pouvait laisser présager. La première nouvelle , Chair à Pavé - ou Street Meat dans sa version originale , publiée en 1983 , dépeint un New-York apocalyptique où le chômage de masse a transformé la très large majorité des Américains en sans abris , faisant de la grosse Pomme une vaste et impitoyable cour des miracles où le rat est la spécialité culinaire locale. C'est dans cet enfer qu'une ancienne sdf devenue vigile pour une vieille et insupportable richarde va se retrouver à patauger dans la merde toxique du métro new-yorkais dans une course poursuite effréné derrière celui qui a kidnappé le petit chien de sa patronne.
La seconde nouvelle intitulé Chroniques de l'age du fléau , ou Journals of the Plague Year dans sa version originale , publiée en 1988 , traite quant à elle d'un futur encore plus terrible où le SIDA - le fléau , donc - ravage la population d'une Amérique impérialiste au possible. Malgré les palliatifs , l’ardente morale évangéliste et les interfaces sexuelles , rien n'y fait : le sexe tue , et il génocide des gens qui ont décidément bien du mal à oublier les années Summer of Love. Au travers de plusieurs point de vue , Spinrad nous emmène à la découverte de ce futur potentiel.
La troisième nouvelle quant à elle , intitulé La Vie Continue et publiée elle aussi en 1988 , est beaucoup BEAUCOUP plus rationelle. Ce n'est même pas une nouvelle de science-fiction dans le sens où celle ci n'a pas recourt à de grands effets comme dans les deux précedentes : Spinrad témoigne de son exil à Paris , en s'imaginant simplement à la tête d'un journal jugé subversif pour les agences gouvernementales de son pays , alors qu'Universal l'approche pour adapter au cinéma son roman Les Avaleurs de Vide. De son cotée , le KGB d'une URSS qui ne se serait jamais effondrée tente simultanément de l'approcher afin de le faire venir vivre en Russie. S'en découle un bras de fer , témoignage de la tension implicite des années de la fameuse Paix Belliqueuse.
Donc , si on excepte la troisième nouvelle aux faux airs de règlement de comptes personnel entre Spinrad et l’environnement géopolitique de son époque , que retenir de ce recueil ? Déjà , qu'il est bon. Même très bon lorsqu'il s'agit de créer une ambiance toute particulière. Chair à Pavé s'est déroulée devant mes yeux comme un vrai court-métrage , l'épisode d'une série d'anthologie dont le thème serait le post-apo. Cette course poursuite est rythmée , rudement bien écrite et même sacrement cocasse , conférant à Chair à Pavée cette élan cinématographique digne des frères Cohen.
La seconde nouvelle réussit son pari littéraire sur le fond. L'univers qui y est décrit est d'une tristesse incroyable , parce-que très proche de ce que nous connaissons , nous autres jeunes du XXIem siècle. La frustration sexuelle revêt ici les mêmes atours que l'alcool lors de la prohibition , dans toute son injustice et tout ce qu'elle entraîne d'excès et d'intolérable cruauté. L'exclusion des cartes noires - ceux qui portent à présent la nécrose de leurs fautes naturelles sur le corps - est un intéressant témoignage de ce que la communauté gay vécut lors des premiers instants de l'apparition du VIH. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si toutes ces phases terminales se retrouvent parquées à San Fransisco , capitale du mouvement LGBT dans notre univers , centre de rétention gigantesque dans celui de Spinrad.
Mais la troisième nouvelle...Ma foi ! Qu'est-ce que c'est que ça ? Certes , je l'ai comprise , mais je l'ai surtout prise pour ce qui semblait être - à mes yeux de lecteur averti quant aux antécédents du monsieur - un autre essai au sens littéral du terme quant à une littérature d'appropriation où la notion de l'auteur est biaisé. Rêve de Fer , si on ne sait pas que c'est un éventuel Adolf Hitler qui l'a écrit , on est juste devant un mauvais livre. Mais là , avec La Vie Continue , si on ne sait pas qui est Spinrad , pourquoi il est à Paris , comment apprécier l'oeuvre ? C'est difficile , et j’espère ne pas retrouver ces inexplicables travers dans mes futurs lectures de l'auteur.
Parce qu'il y en aura , faut pas déconner. Spinrad posséde un style très "droit-au-but" , agréable , semblable à ses collègues Robert Silverberg et Robert Charles Wilson. C'était son tempérament rock n'roll que je recherchais vainement dans Rêve de Fer et dont les Années Fléaux ont réussi à me conférer un avant gout prometteur.

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le 11 nov. 2017

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