Affirmer que Robin Hobb est une écrivaine prolifique relève de l’euphémisme. Depuis plus de vingt ans, le succès de sa saga principale "L'Assassin Royal" lui a assurée une bonne place au sein du milieu de la fantasy contemporaine. Aujourd'hui encore, elle continue encore de narrer les aventures du malheureux Fitz, dans ce même univers qui a vu des vivenefs naviguer, des dragons s'envoler et des destins se croiser.


Ce deuxième tome des Aventuriers de la Mer - dans le découpage correspondant à l'original - reprend exactement là où le précédent s'était arrêté. L'épopée se poursuit pendant 900 pages où la multiplication des points de vue fuse à bon rythme : malgré les moments intimistes et les temps morts, ce tome-ci ne se perd jamais dans des intrigues inutiles et développe un univers tantôt fascinant, tantôt rebutant. Avant, je trouvais la vie à Terrilville assez malheureuse, mais cette cité vaut bien mieux que Jamailla et Chalcède, cette dernière sera d'ailleurs vivement critiquée lors du prochain cycle de cet univers, Les cités des anciens.


Comme auparavant, les différents personnages subissent des vertes et des pas mûres. Une spécialité de l'auteur qui permet de les dévoiler tels qu'ils sont : pas des héros, juste des êtres humains dictés par leurs émotions, au passé trouble et à l'avenir incertain. Pour eux, ce tome est l'occasion d'affronter leurs démons et de bâtir leur propre destinée. Au lieu de se plaindre sans cesse, ils agissent et se font en nom. C'est ainsi qu'Althéa subit une évolution favorable : rejetée par tous, elle prouve enfin ses compétences dans la vie maritime et est même excusée par sa famille. Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire, car ses efforts sont enfin récompensés, un accomplissement que j'attendais beaucoup de la part de la protagoniste principale de la saga. Althéa devient aussitôt attachante, et ses relations avec autrui sont finement traitées.


De manière générale, la famille Verstrit est vraiment attachante, Robin Hobb leur a accordé une place privilégiée dans cette histoire. À force de se plaindre, Malta et Hiémain auraient pu devenir insupportables. Il n'en est cependant rien, car à présent, ils gagnent en maturité, cessent de songer au passé pour l'un et à un avenir impossible pour l'autre et songent à l'instant présent. Tour à tour, ils feront des découvertes et se heurteront à un monde d'intolérance, de violence et d'esclavage en dépit de leur jeune âge. Keffria et Ronica ne sont pas en reste non plus et se révèlent des parents protecteurs, mais aussi d'excellentes oratrices qui apporte leur contribution dans une cité proche des ruines. Et, à mon grand bonheur, cet intrus, cette caricature d'esclavagiste machiste et haineux qu'est Kyle Havre est écarté autant que possible. Affublé de trop de défauts pour être réaliste, il ne servait que de moteur dans l'histoire et j'espère que sa faible présence de ce deuxième tiers sera prolongée pour le dernier tiers.


Comment oublier Kennit ? Personne ambigu au possible, il a très vite suscité mon intérêt. Est-il un méchant pirate ou un bon libérateur d'esclave ? Loin de se résumer à un de ses deux extrêmes vus et revus, Kennit est un personnage complexe, parfaitement gris, qui trace sa destinée en sillonnant les mers. Tantôt sympathique, tantôt antipathique, la perte de sa jambe l'oblige à employer d'autres méthodes que la force pour parvenir à ses fins. Meneur charismatique, il n'impose rien à personne, car tout comme lui, il souhaite que les gens soient libres de choisir leur destin.


Les aventuriers de la mer possèdent tous les avantages des récits de Robin Hobb, et ces personnages sont les premiers. Je pourrais également m'attarder sur l'énigmatique Ambre, le déterminé Reyn, la sage Jani, l'intrépide Etta, l'insoumise Sérille, l'opiniâtre Brashen, sur ces gouverneurs, ces marchands, ces Anciens, ces dragons, tous ces personnages qui constituent un peuple en proie à une crise, entre trois cités aux mœurs différentes. Qu'ils soient principaux ou secondaires, les personnages sont excellemment écrits, avec une touche d'humanité qui favorise leur évolution. Leurs qualités et leurs défauts se combinent pour former des entités vivantes.


Comme de bien entendu, les thèmes chers à l'auteur prennent ici une place de choix. Ce doit être l'un des récits de fantasy qui traitent le plus intelligemment du libre-arbitre, du féminisme, de l'esclavage et des animaux. On est loin de la propagande pure et simple, ou du message peu subtil : pour défendre leurs valeurs, les personnages suent littéralement et la satisfaction de les voir accomplir tout ce qu'ils entreprennent fait chaud au cœur. Ainsi, on présente un univers bien différent qu'à l'accoutumée, un univers vaste, chamboulé sur peu de temps. Certaines personnes participent à son évolution, d'autres s'y soumettent, mais personne n'en demeure inchangé ou indifférent.


Les apparitions des dragons si symboliques aident à rythmer le récit. On assiste alors à des navigations impétueuses, à des libérations d'esclaves, à des débats de marchand, à des destructions de ville : la complexité et la nature de l'humanité y est dressée dans un monde de fantasy cohérent où la magie garde sa valeur discrète pour favoriser une épopée autant terrestre que maritime. Le tout se conclut sur des promesses de retrouvailles, trahisons, une cité détruite, personnages en danger. Mais il n'y a jamais d'abandon. Les aventuriers de la mer enchaîne avec brio les moments calmes et les instants où la tempête se déchaîne, laissant des dégâts sur son passage.


Maniée par une plume de maîtresse, ce deuxième tome ne souffre plus des longueurs introductives du précédent : on plonge pleinement dans ce roman sans jamais en ressortir, tant les péripéties sont nombreuses, les thèmes cruciaux et les personnages attachants.

Saidor
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le 8 févr. 2017

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