Le préambule au récit est la conquête de la ville de Terrèbre par les cavaliers des steppes, ceux qu'on appelle les Barbares.

Le narrateur, obscur professeur linguiste à Terrèbre, se trouve au moment de l'invasion être le seul connaisseur de la langue des cavaliers. Rattrapé par sa culture, il va prendre des responsabilités dans la résistance des lettrés, qui veulent comprendre la langue et les mœurs de l'occupant.

Capturé par le Prince des Barbares pour être son historiographe et l'accompagner dans son voyage de retour vers les jardins statuaires, il va suivre la longue chevauchée des cavaliers, à la suite de ce Prince qui part à la recherche de ses racines. Et il découvre progressivement la bienveillance et la culture de ceux qu'il appelait et pensait comme des Barbares.

A la lecture de ce récit où chaque mot semble élu, on pénètre un monde énigmatique et hors du temps. Récit mythologique, il l'est d'abord par le personnage du prince, Prince des Barbares ici déchu, personnage énigmatique aux mobiles obscurs, devenu fou par excès de lucidité, hurlant à la nuit comme une grande bête solitaire, hanté par le souvenir de ses hordes lancées dans l'ivresse de la destruction, « un esprit envahi par la béance du monde ».

Les Barbares est un voyage dans les contrées intérieures de la pensée et de la mémoire. Dans les méditations et conversations du narrateur avec ses compagnons de chevauchée se développent des thèmes universels, la question de l'identité de celui qui est suspendu entre deux mondes, un questionnement sur le statut du livre et de l'écrivain, la méditation sur un univers qui disparaît, celui des Jardins Statuaires, étouffé par ceux qui en avaient fait la grandeur.

Le lecteur est possédé par le rythme lent du voyage et du texte, possédé par les visions de mort et le chatoiement de la sensualité, du texte, de la nature (parfois) et de la femme bleue, compagne du Prince immensément sensuelle et bienveillante.

« J'étais presque endormi quand le rideau de feutre fut soulevé. Libérée de tous ses voiles, celle que je n'osais attendre se tenait sur le seuil, immobile, d'un bras levé soutenant les plis de feutre de la lourde tenture. Les lueurs qui l'éclairaient à contre jour faisaient de son corps une triomphale statue de bronze, telle que je l'avais vue déjà dansant devant un feu, inaccessible et promise. Son bras s'abaissa. La nuit se referma et je ne la connus plus que dans la douceur de sa chair fiévreuse et immensément bienveillante. »

« Il convient peut-être de se fier aux rêves qui nous projettent au-delà de nos limites. »

Vive le rêve de Jacques Abeille et qu'il se prolonge encore longtemps. Les Barbares nous projettent hors de nos limites et on semble nous aussi acquérir l'œil du tigre, ce regard étrange des princes des steppes qui englobe tout ce qui peut être vu.
MarianneL
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le 14 juin 2012

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MarianneL

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