Ma critique complète (attention spoilers importants) : https://sospoilogie.wordpress.com/2025/10/10/les-derniers-jours-de-lapesenteur-de-fabrice-caro-2025/


L’automne est la saison du bonbon annuel de Fabrice Caro. Chaque année, je trouve ce bonbon moins savoureux que le précédent. Est-ce parce qu’il a objectivement moins bon goût ou parce que mon palais s’est habitué et usé ? Ca reste une lecture agréable, aucune difficulté à tourner les pages, il y a une vraie efficacité dans la structure et la narration. Fidèle à son style, ce roman écrit à la première personne alterne des situations assez honteuse, des réflexions pertinentes sur le monde comme il va, des références culturelles et politiques qui parleront aux hommes qui ont eu à peu près la même jeunesse que l’auteur et des blagues rigolotes. Pourtant, j’ai lu ce livre avec beaucoup moins de plaisir qu’à l’accoutumé. Le discours avait été un choc comique pour moi, je riais quasiment à chaque paragraphe. Ici, j’ai esquissé à peine quelques demi sourires. C’est dommage.


Les derniers jours de l’apesanteur (moins bien que Les derniers jours du Disco de Juliette Armanet, un peu mieux que Les derniers jours du Parti Socialiste d’Aurélien Bellanger) se passe dans les années 80. Daniel, le narrateur, est en Terminale scientifique avec ses copains Marc et Justin. Ils ont deux objectifs principaux : avoir leur bac et faire l’amour. Le livre raconte donc une année scolaire au cours de laquelle notre narrateur donne des cours de mathématiques à une collégienne mutique qui a des parents libidineux, se faufile tant bien que mal dans la faune lycéenne entre garçons bien dans leur peau et filles qu’il n’ose pas aborder, s’émancipe tout doucement de la présence de ses parents et de son frère collégien fan de heavy métal.


L’armée des ombres fragiles

Fabrice Caro se remémore donc ses souvenirs de lycéen lambda. L’envie d’avoir une copine, de faire l’amour, d’avoir son bac, d’être accepté socialement. On retrouve dans cet âge les mêmes craintes d’inadaptation au monde et aux autres qui sont présentes dans tous les livres de Fabrice Caro : comment exister socialement pour un garçon sensible, en manque de confiance en lui, pas sportif, pas spécialement intelligent ni beau, conscient de tout ce qui se passe autour de lui, gentil et drôle mais pas du genre à danser sur la table. Je commence à en avoir un peu marre de ce personnage, de cette posture qui est omniprésente chez les auteurs au public disposant d’un certain capital culturel. Dans son dernier disque, Vincent Delerm chante ce type de garçons dans L’armée des ombres fragiles avec Albin de la Simone et Mathieu Boogaerts. Ces garçons ne savent pas danser dans les soirées, ne savent pas faire de la barre parallèle comme les garçons musclés et populaires du lycée, ne savent pas rouler un joint ou des mécaniques, ne sont pas bons au babyfoot, sont surtout bons à donner des coups de mains et des cours de mathématiques même pas rémunérés. Où sont les livres écrits par ou sur les garçons bons en sport et au babyfoot ? Par ou sur les garçons qui chopaient toutes les filles ? Je trouve le point de vue de Fabrice Caro un peu trop simple. C’est une forme de fainéantise de se glisser dans les baskets de ce garçon gentil mais un peu loser, cette “ombre fragile” qui analyse toutes les normes sociales mais est incapable de s'y conformer. La bande dessinée Samuel d’Emilie Tronche proposait un autre type de garçon sensible, me semble-t-il, moins vu et revu. Fabrice Caro insère une dimension sociale à son personnage de lycéen lambda, sa normalité n’étant même pas réhaussée par une extraction sociale plus favorisée. Le lycée est ce lieu où existe une autre hiérarchie sociale que celle de l’argent mais Daniel n’est haut ni sur l’échelle de la popularité ni celle économique.


Retour au lycée

Au-delà du point de vue un peu paresseux, je trouve que ce roman n’arrive pas à être aussi drôle que l'œuvre à laquelle on ne peut pas ne pas penser, Les beaux gosses de Riad Sattouf. Hervé est devenu Daniel, il a quelques années de plus, mais Fabrice Caro court un peu après l’humour de Sattouf. Tout est ici sympa, mais rien n’est vraiment drôle ni réussi. Les scènes de soirées éméchées sont sympas, les scènes de stratégie de drague (les schémas de vagins à la recherche scientifique du point G) ou de drague sont sympas, les scènes de râteau pris par les copains sont sympas (donner une cassette de Michel Sardou au lieu de donner celle de Supertramp), les scènes de garçons timides dans le cours d’EPS ou dans le vestiaire sont sympas (les garçons qui se baladent la bite à l’air), les scènes de promiscuité familiale sont sympa (le mariage du cousin qui aura été plus pénible que les années de prison de Mandela), les scènes de fantasme sur la mère de la collégienne (qui aime mettre la tête de Daniel entre ses seins) sont sympas. Mais il manque quelque chose, surtout quand on connaît l’humour de Fabrice Caro. Il y a cette scène de premier baiser, pendant le slow de la chanson Say you say me de Lionel Richie qui m’a quand même bien fait rire. L’auteur essaye même de mettre du mystère (que se passe-t-il entre le père et la mère de la collégienne ? qu’est-il arrivé à ce camarade de classe qui a disparu ?) et du drame (un garçon est mort au début de l’année scolaire) pour relancer l’attention du lecteur. Ca marche, on tourne les pages, on est content d’avancer dans le récit, mais je reste malgré tout largement sur ma faim.



Jo_Babouly
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