Psychiatrie et tribadisme sur fond de toxicomanie...

Enfin une pièce de Grand-Guignol qui joue bien plus sur la suggestion que sur l'exhibition d'horreurs sanguinolentes ! Pour un peu, l'atmosphère serait feutrée comme dans un roman d'Agatha Christie, et il court au long de la pièce une brise d'érotisme léger et troublant qui convoque avec finesse les pulsions perverses du spectateur, sans s'appesantir.


Une sorte de puzzle se met en place, dont les éléments n'ont apparemment pas de rapports très nets entre eux : Madame de Challens, directrice d'une école privée pour jeunes filles de bonne naissance, prépare la fête de fin d'année scolaire. Comme il y a un bal à cette occasion, elle fait venir, comme l'an passé, Solange, jeune professeur de danse, afin de donner des leçons aux élèves dans sa spécialité. Jusque là, ça va.


Puis le concierge et une surveillante, en conversant entre eux, se lamentent sur le suicide apparent d'une très jolie élève de treize ans, que l'on a retrouvée au fond d'un puits l'an passé à cette époque de l'année. Jusque là, le spectateur ne voit pas trop le rapport entre ces éléments. A peine peut-il se sentir troublé par l'insistance avec laquelle on insiste sur la beauté physique et le charme de ces adolescentes, accentuée par les allusions bizarrement répétées à la chaleur qui règne en ce début d'été, chaleur propice à tous les alanguissements luxurieux...


Puis les notations déroutantes s'enchaînent : une petite élève, Lucienne, très jolie, est saisie d'une dépression profonde et mal explicable; sa mère ne peut venir la voir, car elle est droguée à la morphine, et donc en traitement médical. L'on se rend compte ensuite que Madame de Challens exerce sur Lucienne une sorte de pouvoir psychologique absolu, presque hypnotique. Solange arrive dans l'établissement. On apprend vite que Madame de Challens se drogue à l'opium, que Solange se pique à la morphine, et que les deux femmes entretiennent une relation nettement plus que professionnelle.


L'habileté de la pièce, c'est qu'ensuite, on ne nous montre plus rien, sauf à l'extrême fin. Les événements les plus dramatiques nous sont simplement racontés, sous la forme d'un dialogue entre un médecin et un commissaire de police. Voilà que, cette année aussi, une autre élève a disparu, toujours au moment du bal de fin d'année (et lorsque Solange est présente dans l'établissement), et cette élève, c'est Lucienne.


On laisse au lecteur le soin de découvrir ce que le Docteur raconte au commissaire; Sachons simplement que son discours est très psychiatrique, ce qui n'étonnera pas, lorsqu'on sait que, des deux auteurs de la pièce, celui qui a signé "Olaf" est en réalité l'illustre Joseph Babinski, neurologue-psychiatre élève de Charcot, et l'on revient alors nettement dans la description de perversions psychopathologiques, dont André de Lorde ne s'est pas privé de faire usage dans ses pièces, mais, lui, avec la collaboration d'Alfred Binet et pas de Babinski.


On trouvera certainement que le Docteur raisonne avec une perspicacité et une justesse exagérées par rapport à la maigreur des indices qui lui permettent de fonder son raisonnement. On pourra estimer que les symptômes psychiatriques décrits sont tout de même assez alambiqués et "sollicités" pour faciliter la construction de l'intrigue. Mais c'est à ce prix que les auteurs ont pu éviter de montrer sur scène de graves perversions, et d'allonger inconsidérément l'intrigue qui prend des allures d'enquête policière.


Derrière cet argument dramaturgique, il y a les préoccupations socio-pathologiques de l'époque : le lesbianisme (on parlait plus volontiers de saphisme ou de tribadisme); le développement de la consommation de stupéfiants lourds en cette période post-Première Guerre Mondiale, toute déboussolée et en perte de sens; le sadisme, archétype de la perversion asociale; et la décadence suicidaire style "fin-de-siècle" d'une aristocratie qui ne contrôle plus rien (les consommatrices de drogues sont ici des femmes issues de l'aristocratie).


On comprend qu'un film "propre" ait pu être tiré de cette pièce ("L'Araignée de Satin", de Jacques Baratier (1986)), car l'exhibition d'horreurs est minimale, l'intrigue se prête fort bien à un développement plus considérable sous forme d'enquête, et l'érotisme lancinant de ces rapports entre filles par forte chaleur a de quoi séduire des amateurs de chairs douces...

khorsabad
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le 23 déc. 2016

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