La déesse ivrogne
"Personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’il n'est pas possible d'être juge et partie."Cette fameuse formule juridique tirée du droit de la Rome antique pourrait être la morale de...
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le 1 juin 2022
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De nos jours, le grand Anatole subit une sorte de long purgatoire dont on se demande tout de même s'il ne se prolonge pas outre mesure.
Homme de lettres distingué riche d'une culture humaniste, France incarnait à merveille, ainsi que Voltaire, cet esprit français fait de pénétration et de mesure où se manifeste une partie du génie national.
Aussi peut-on selon moi partager sans la moindre réserve l'enthousiasme de Paul Guth au sujet du livre "Les dieux ont soif".
Gagné aux idéaux de la Révolution, Evariste Gamelin, son héraut, va franchir peu à peu, de compromis en compromission et au nom d'une idéologie toute robespierriste, la frontière qui sépare le juste de l'ignoble, le bon de l'exécrable, le légitime du totalitaire. La force du roman réside dans le fait que le jeune homme pourrait aisément ressembler à chacun d'entre nous, qu'il est capable d'inspirer une vraie sympathie au lecteur, que ses motivations initiales n'ont rien d'inquiétant ou de répréhensible.
Or pris dans un engrenage effrayant, Evariste ne manquera pas d'évoquer le roi aztèque Moctezuma réclamant jour après jour de nouveaux sacrifices pour étancher sa soif inextinguible. La Révolution, devenue Terreur, vampirise bientôt ceux qui la servent et broie ceux qui s'écartent de ses dogmes.
L'histoire narrée magnifiquement par Anatole France progresse comme une course vers l'échafaud. Aussi précise qu'un mécanisme d'horlogerie, la trame romanesque suit les méandres d'un drame inévitable. A force d'être "pur", on finit par mépriser le genre humain, et la guillotine elle-même fait figure d'instrument de rédemption.
Dans ce livre inoubliable où les meilleurs sentiments se transforment en actes de barbarie, Anatole France brosse un tableau saisissant de la période révolutionnaire sans jamais tomber dans l'enflure et dans le pathos.
Prodigieux styliste, il fait avancer le récit de main de maître en donnant à voir de chapitre en chapitre les progrès délétères d'une "raison" ô combien déraisonnable.
On sort d'un tel roman atterré, furieux, abasourdi.
A vouloir faire le bien des hommes malgré eux, on est forcément conduit à faire leur malheur.
France nous l'enseigne ici de manière magistrale !
Créée
le 5 janv. 2019
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3 commentaires
"Personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu’il n'est pas possible d'être juge et partie."Cette fameuse formule juridique tirée du droit de la Rome antique pourrait être la morale de...
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le 1 juin 2022
11 j'aime
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Je vous livre aujourd'hui mon avis sur un énorme coup de cœur ! J'avais déjà eu le plaisir de lire plusieurs œuvres d'Anatole France - auteur nobélisé en 1921 et pourtant désormais injustement oublié...
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le 8 nov. 2020
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Les Dieux ont soif est pour Anatole France un peu plus qu'un roman historique parmi d'autres : son père, libraire spécialisé en textes de la période révolutionnaire, lui a légué un riche fonds qu'il...
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le 8 août 2015
6 j'aime
Magnifique premier film d'un jeune réalisateur ultra talentueux et plein d'avenir. Je l'ai vu en avant première, les acteurs sont tous formidables et bien dirigés, le scénario est malin et tient en...
le 16 sept. 2018
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Pour commencer, si vous avez l'intention de lire ce roman et que vos connaissances historiques sont faibles, il va vous falloir réviser. Je pense très sincèrement qu'il est indispensable de bien...
le 12 mars 2017
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Attention pas de loup garou dans ce film qui n'est pas non plus un film d'horeur mais un drame psychologique. Nous sommes en 1945. La guerre vient de se terminer mais les premières semaines de paix...
le 2 oct. 2019
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