Poursuivant l’exploration d’un monde communiste apocalyptique, Antoine Volodine propose une quête désespérée parsemée de bizarreries et d’humour pince-sans-rire.


Parions que les personnages des Filles de Monroe se rallieraient volontiers à cette définition issue de OSS 117 : Rio ne répond plus (Michel Hazanavicius, 2009) : « Une dictature c’est quand les gens sont communistes, déjà, ils ont froid, avec des chapeaux gris, et des chaussures à fermeture éclair. » Un pouvoir omnipotent et omniprésent, une pluie froide et d’amples vêtements pour se protéger de l’humidité constituent les caractéristiques premières du monde sans nom des Filles de Monroe. Avec finalement peu de détails sur cette dystopie, Volodine dresse le portrait d’un monde totalitaire où 343 fractions du Parti communiste s’affrontent pour influencer ou obtenir le pouvoir.


Depuis de vieux bâtiments délabrés, le narrateur et Breton observent de jeunes filles s’écraser au sol en tenue militaire. Et se relever. Car ces filles, les filles de Monroe, revenant d’entre les morts, ont été formées par Monroe pour réformer et déstabiliser le pouvoir en place. « Les filles qu’il avait longuement formées pendant des années et pendant d’épuisants stages de spécialisation, ses filles, étaient formidables, belles, endurantes, courageuses, intelligentes, mais elles étaient mal embouchées. » Breton et le narrateur, témoins de ces événements qu’ils n’auraient pas dû voir, vont être salement interrogés par la police politique.


Une constante surprise
La force de Les Filles de Monroe vient de cette constante étrangeté qui parcourt tout le livre. On croit reconnaître des influences et déceler des messages, mais le but d’un tel livre est surtout de dérouter. Le narrateur pourrait être le double de Breton, le doute n’étant jamais levé. Les morts parlent entre eux, et communiquent également avec les vivants. Les dialogues sont ponctués de mots vulgaires, et d’un langage cru, véritable barrière contre un monde agressif. Au rythme assez lent, Les Filles de Monroe garde tout de même un certain suspens, grâce à un humour corrosif et à cette question qui revient sans cesse dans la tête du lecteur : que suis-je en train de lire ?


« Breton défroissa un paquet de cigarettes, en sortit une et s’adossa au platane. Il avait trouvé le paquet la veille en faisant les poches d’un mort. L’arbre contre lequel il s’appuyait avait été récemment ébranché et dressait ses moignons au-dessus du bitume, dans l’ombre, comme une sculpture dédiée à l’amputation en générale et à celle des feuillus en particulier. Une pluie fine tombait, pas vraiment désagréable mais insinuante, et l’emplacement qu’avait choisi Breton pour fumer ne lui assurait aucune protection. Il aurait pu tout aussi bien rester à trois mètres du tronc, exposé à la brouillasse venue du ciel. »

JulienCoquet
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le 20 août 2021

Critique lue 550 fois

Julien Coquet

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