Je viens de relire « les garçons sauvages » qui oscille entre le récit compréhensible et le pastiche associatif, la nouvelle et le roman, le fragment et la totalité.

Un tourbillon bizarre, vertigineux et terrifiant où se mêlent dialogues, visions, anecdotes, digressions poétiques et transes pornographiques.

Ces garçons sauvages sont de sortes de bandes clandestines de garçons multiraciaux dispersés à travers déserts et montagnes, villes et jungles, regroupés en un réseau mondial combattant les forces répressives de la planète. Armés de pistolets laser, de grenades, de sarbacanes, de couteaux et de l'indispensable bouteille de vaseline, ils traversent le Désert Bleu du Silence, à moitié nus, dans le but de détruire tous les systèmes dogmatiques : la Religion, la Patrie, la Famille.

Cette guérilla juvénile nage dans les onguents corporels, les rituels magiques, le trafic de drogue, et un langage commun ; c’est une armée marginale et incorruptible, une entité collective où implosent candeur paradisiaque et fureur révolutionnaire, lyrisme intérieur et politique étrangère, science-fiction fantastique et aventures guerrières.

Burroughs rajoute à toutes ces aiguilles injectables, ces revolvers, ces 'êtres extravagants sortis tout droit de pulps magazine ou de dimensions surnaturelles, de longs passages d'un érotisme aussi explicite que tendre, aussi clinique que passionné : On y trouve des anus dilatés, des doigts savonneux, des excrétions, des orgasmes et des déflorations à profusion (une sexualité qui n'exclut pas le règne végétal), le tout avec le regard glacial de quelqu'un qui, imperturbable, contemple une version hardcore du Jardin des délices.

Il y a aussi de l'humour picaresque et des performances de vaudeville.

Et une couche sépia de film à l'ancienne.

Ce n’est cependant pas une lecture facile et ça ne s’adresse probablement pas à tout le monde. Il vaut mieux déjà connaître la Beat Generation et avoir lu Junky et Queer, par exemple.

Burroughs ne cherche pas la cohérence : C’est un texte fait de fragments décousus et de répétitions dont le but est de faire expérimenter au lecteur divers plans de réalité.

On peut y être totalement réfractaire et n’y voir que de la pornographie... ou prendre cette lecture comme un puzzle et se laisser emporter par le torrent verbal qui jette des ponts vers le visuel :

On y trouvera « des cuisses qui scintillent par éclairs », « des corps nus baignés dans le rose fumé du soleil mourant », « des étoiles lointaines, faibles et errantes [qui] éclaboussent les pommettes de cendres argentées », « des tétons dressés [qui] jaillissent d'une plante bulbeuse », « des orchidées [qui] palpitent avec intensité, déversant des gouttes colorées de lubrifiant », « une électricité plombée dans l'air », « des mots qui vibrent et transforment les entrailles en gelée ».

C'est un recueil de scènes cinématographiques et fantastiques, souvent viscérales, pornographiques, violentes, surréalistes, brutales, belles et dérangeantes.

Burroughs crée un monde fantastique anti-conventionnel (un Pays Imaginaire queer peuplé de garçons perdus, homosexuels et anarchistes) où il fait un pied de nez aux mœurs et aux idéaux conventionnels, utilisant sa maîtrise du langage et de l'imagerie comme une arme et un pinceau.

Henri Mesquida pour le groupe Facebook : cinéma et littérature gay.

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le 4 sept. 2025

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