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Dans le (sous-)genre roman noir, celui-là absorbe toute la lumière. De la quinzaine de mômes de primaire et de leurs accompagnateurs qui partent trois jours dans les bois du Morvan, aucun ne survivra. (Non, je ne dévoile rien, c’est annoncé dès la deuxième phrase de la quatrième de couverture. Et oui, j’attends que l’Éducation Nationale s’insurge contre ce bouquin.) Les Lois du ciel, au même titre que Quinzinzinzili de Messac ou Sa Majesté des Mouches de Golding, sont un massacre en règle de la mythologie de l’enfance innocente et donc épargnée (ou épargnée donc innocente).
Ce n’est pas ce qui m’a gêné dans ce récit. (Au contraire, cette optique n’est généralement pas pour me déplaire.)
Contrairement à ce qu’on pourrait croire au premier abord, l’écriture des Lois du ciel est assez particulière. Tantôt on trouve des considérations psychologisantes extrêmement convenues, d’autant plus lourdes qu’elles soulignent ce qu’elles veulent dire en les analysant : « Cet épisode horrifique qu’elle avait vécu, il lui était impossible de s’en défaire, ni de le comprendre, ni d’en tirer le moindre enseignement. Un adulte, le seul adulte qui devait veiller sur eux, avait été tué, effacé, détruit, et ce traumatisme initial résonnait en elle et soufflait de par sa puissance toutes les composantes de sa personnalité en devenir » (p. 122-123 en « Folio policier »). Tantôt il y a de véritables recherches stylistiques (1). Les premiers passages sont-ils à lire comme des maladresses non voulues ? comme des moqueries ? comme des concessions faites au genre du thriller ? comme des faiblesses délibérées destinées à mettre en valeur les seconds ? À cet égard, il y a peut-être de l’ironie dans le titre.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas ce qui m’a gêné dans ce récit. (Au contraire, cela change du roman noir sans surprise mâtiné de roman terroir sans surprise auquel on pourrait s’attendre.)
Les Lois du ciel prennent le lecteur à partie. On trouvera ainsi un passage dans lequel ce dernier n’a pas d’autre choix que de s’imaginer mangé vivant par un sanglier, pendant pas loin de dix pages et à la deuxième personne du pluriel. Sans aller jusque là, lire le récit de Grégoire Courtois implique le risque de se laisser prendre au jeu, de fredonner cette espèce de comptine macabre, de Dix petits nègres forestier, avec ce que cela peut avoir de, peut-être, jouissif… Sans être particulièrement sadique, c’est le principe du slasher : à la fois inconfortable et attrayant.
Ce n’est toujours pas ce qui m’a gêné dans ce récit. (Freud, me semble-t-il, appelait cela Schadenfreude.)


Non, ce qui m’a gêné, c’est l’invraisemblance foncière sur laquelle est construit le roman. Une nature hostile – et encore… –, pourquoi pas. Un gosse maléfique, soit. Un coup de malchance, d’accord. Mais un tel concours de circonstances, ça ruine aussi bien les registres noir que policier des Lois du ciel.


(1) Le passage (p. 92) est un peu long : « Quelque part, très loin, Yasmine et Emma sanglotaient aussi, et Nathan, et Océane et Louis, et dans cette obscure forêt, dans ce petit périmètre qui devait représenter le centième de l’étendue globale de cette zone boisée, où qu’on tende l’oreille, c’était une symphonie de “maman !” éplorés qui s’était élevée au-dessus de la cime des arbres, qu’ils aient été formulés véritablement ou pensés si fort qu’ils avaient résonné dans le cœur de sève des grands feuillus et des larges conifères, les cris des enfants qui appelaient leur maman avaient envahi tout l’espace, et faisaient tout trembler, ébranlaient jusqu’à la plus obtuse des consciences, bouleversaient quiconque en percevant la vibration, c’est-à-dire personne d’autre que vous, lecteur, qui avez le privilège et la malédiction, de saisir en entier l’image odieuse d’une forêt, plongée dans la noirceur d’une nuit anodine, et de laquelle s’élèvent les appels au secours de ces enfants livrés à eux-mêmes, de ces enfants qui meurent, ou qui vont mourir, et pour le salut desquels vous ne pouvez rien. Voilà votre lot, et voilà le leur, des rôles tragiques qu’il conviendra à chacun de tenir du mieux qu’il pourra, jusqu’à la dernière page. »

Alcofribas
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le 28 mai 2018

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