La science-fiction a cela d'intéressant qu'elle ouvre le champ fictionnel au-delà du seul passé ou présent, et qu'elle permet ainsi d'élargir quasiment à l'infini les questionnements qu'un auteur peut porter sur le monde et sur la société. C'est que Damasio répète à chacune de ses interviews. Alors quand, en plus, on a affaire à un auteur de talent comme Silverberg, pour un dystopie écrite il y a près de cinquante ans, ça fait très vite bouillir le cerveau.


Alors, on passera très vite sur le côté seventies des "Monades urbaines" - libération sexuelle, mais à l'initiative des hommes, musique planante et drogues et hallucinogènes - certes assez amusant, mais finalement plutôt anecdotique. Car ce j'ai trouvé le plus frappant dans ce bouquin, c'est la description de cette société urbaine de 2.381 après J.C, et la façon dont elle renvoie à celle des Etats-Unis d'il y a cinquante ans et sans doute plus encore à celle du monde occidental d'aujourd'hui. Un point pour le côté visionnaire de Silverberg.


Jugez plutôt : une société de loisir et de fun, avec une technologie permettant de débarrasser l'humain de tout un tas de tâches matérielles, dans laquelle les rapports sont obligatoirement cordiaux et aimables, et à laquelle tout un chacun doit adhérer et se comporter comme un citoyen modèle. Sous peine d'exclusion, la forme que prend cette dernière étant assez radicale dans le bouquin. Mais aussi une société verticalisée, au propre comme au figuré, et dont les dirigeants sont cyniques et décadents. Pas une trace d'idéalisme au sommet d'une société dont le message est pourtant qu'elle est destinée à assurer le bien de tous.


En gros, reste dans ta monade, comporte toi comme il faut et ne t'occupe surtout pas du reste, puisque tu es dans le meilleur des mondes. Et d'ailleurs, le lecteur n'aura jamais accès à la compréhension de la façon dont ce monde est régi, tout en haut. Il est manifestement uniformisé (il y a des monades partout), il a aussi ses ploucs (il faut bien nourrir tout ces gens dans les monades), mais qui dirige le monde et tire les ficelles de tout de cela ? Mystère complet. Absence d'explication de l'auteur qui contribue indéniablement au caractère angoissant de son ouvrage.


Et si la critique sociale qui ressort de ce bouquin est déjà remarquable en soi, Silverberg va au-delà en nous questionnant sur la place de l'individu dans tout cela. Car une monade, en philosophie, c'est l'unité parfaite qui est le principe absolu (ne me prenez pas pour ce que je ne suis pas, hein, je suis juste allé voir sur wikipédia). Bon ben, c'est exactement le postulat fondateur d'une monade urbaine dans ce livre, cette unité parfaite vers laquelle chacun doit tendre sous peine d'élimination immédiate. C'est donc l'unité suprême (Dieu, quoi), amenée à croitre et à se multiplier à l'infini. Oui, car j'ai oublié de le préciser au-dessus, le code de bonne conduite dans une monade est de se saluer par un "Dieu soit loué" !


Mais, et c'est ce qui fait le charme de la philosophie, une monade peut également être l'élément spirituel minimal, ou plus exactement, un jeu de miroir entre ceux-ci et l'unité suprême. Et c'est ce jeu de miroir que Silverberg nous donne à observer, à travers les doutes et les interrogations de la plupart des protagonistes des "Monades urbaines". Doutes et interrogations qui pourront être résorbés par le système, ou éliminés si ce n'est pas possible. Avec du coup des questions posées sur la nature de l'homme : est-il possible qu'il évolue génétiquement de manière à ce qu'il se conforme naturellement à une structure sociale de type fourmilière ?


De la grande S.F, et qui fait réfléchir, c'est sur.

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le 24 juin 2018

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