"Tes grenouilles provoquent en moi un insupportable frisson de dégoût."

Dans son laboratoire aussi pittoresque que le monde dans lequel il évolue, le professeur Persikov, éminent savant et spécialiste des batraciens d'une grande université de Moscou, fait une découverte sensationnelle : un rayon "rouge" dans lequel les espèces se reproduisent plus vite et s'endurcicent. Propulsée par une presse toujours à la recherche du sensationnel, cette découverte inouïe attire le jeune État soviétique qui entend l'utiliser afin de développer sa NEP, grâce au projet de l'ambitieux mais peu brillant Rokk, ancien militaire, qui y voit l'opportunité de relancer l'élevage des gallinacés suite à une épidémie.

Lorsque Boulgakov écrit cette nouvelle en 1925, il s'inspire largement de H. G. Wells pour proposer une œuvre de divertissement sur un fond d'anticipation et de science fiction. Mais le génie de l'auteur est d'y ajouter l'ironie et le comique si communs à ses œuvres. Le grottesque y prend une place de premier ordre comme illustré par le titre de cette critique : la fin du monde provient de grenouilles et de poules. Tout dans le style savoureux de Boulgakov transforme cette narration en une satyre mordante et désopilante : le caractère anthropomorphique de certains animaux faisant plus humains que les hommes qui les dissèquent, les personnages et leurs actions de parole décrits par des termes zoologiques ou l'absurdité des situations, notamment issues des comptes-rendus journalistiques des recherches.

Toutefois, faut-il regarder plus loin ? S'agit-il d'une littérature anti-communiste comme l'entendent certains ? La réponse est probablement une question d'interprétation mais il est évident que le système soviétique et son absurde complexité est largement tourné en dérision comme à l'accoutumée dans les œuvres de Boulgakov. Plus que cela, l'écrivain russe questionne d'une manière intéressante l'humanité dans les périodes de crises en brossant des caractères bestiaux de hordes violentes d'hommes en panique, plus cruels que les animaux.

Cette nouvelle, de quelques mois l'aînée de Endiablades, marque le perfectionnement du style de Boulgakov et la recherche de son identité propre. On y retrouve beaucoup d'éléments présents dans ses œuvres principales futures tout en gardant un ton léger et facile à lire, permettant ainsi une excellente porte d'entrée dans le monde complexe et très particulier de cet auteur russe atypique.

Xernay
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le 6 janv. 2024

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